Un film intitulé « Un métier sérieux », ça peut paraitre peu aguicheur… On y fait en tout cas le plein d’émotions, tant le métier enseignant en est pétri. En route pour le collège.
À en croire ce qui arrive à un des personnages du film dès l’ouverture, le spectateur un peu féru d’analyse du travail se dit que la prescription que sont censés suivre les enseignants est tout de même assez légère, ou alors bien floue… François Barrois est recruté comme professeur de mathématiques, sur la seule base de ses diplômes, et alors censé assurer au débotté d’un certain nombre d’heures de cours, telle classe à telle heure dans telle salle. Pour y faire quoi ? Le programme, pardi ! Pour le reste, débrouillez-vous mon brave, c’est votre affaire. Et le novice remplaçant de demander à des élèves de lui prêter un manuel, de lui indiquer les chapitres déjà traités depuis le début de l’année. Pour préparer les cours, ses collègues, y compris au hasard d’une rencontre dans le métro, lui recommandent des tutoriels disponibles sur Internet, plus ou moins fantaisistes, mais ça dépanne. Certes, il n’a pas le statut de professeur à part entière, et son collègue venu à sa rescousse dans la classe commet l’impair de le prendre pour un surveillant. N’empêche, ses élèves comme leurs parents attendent bien de lui qu’il fasse le métier !
Au-delà des tribulations du débutant, le réalisateur du film fait le choix de varier les portraits, de montrer des individualités embarquées dans une aventure collective, au moins parce qu’ils enseignent dans le même lieu, aux mêmes élèves, avec le même chef d’établissement. Chacun a son style, au sens de la clinique de l’activité, au risque de caricaturer un peu la typologie en constituant une collection bien équilibrée : l’ancienne mauvaise élève devenue professeure bienveillante, le blagueur de services, la rigide inflexible, le sévère mais sympa quand même, des femmes et des hommes, des vieux et des jeunes. Les péripéties sont un peu convenues, avec l’indispensable amourette, le clash avec le trublion de service, les sorties de route rattrapées par un collectif attentionné. Mais tout est convaincant, et il fallait bien des acteurs de très bon niveau pour incarner ces professionnels prenant tous leur métier, effectivement, très au sérieux. Chacun trimbale ses doutes, ses casseroles, se débrouille des secousses de sa vie privée, sans pouvoir empêcher qu’elles résonnent en classe : c’est aussi ça le travail.
Ce qui frappe, c’est la description d’une bande de potes plutôt que d’un collectif de métier, pour le dire de façon un peu raide. On sait bien toute l’importance des temps informels pour réguler les relations de travail. Mais tout de même : est-ce bien raisonnable de se retrouver à discuter d’une question aussi décisive que la convocation d’un conseil de discipline autour de l’apéritif, avant la partie de Trivial Pursuit ? N’aurait-il pas été préférable de la traiter de façon méthodique et professionnelle dans le bureau du principal ? À vouloir valoriser la belle équipe, le film montre aussi, en contraste, l’immense solitude du métier, en particulier sur ce qui en est tout de même le cœur, la dimension didactique : comment donner un peu de saveur, rendre accessible à des adolescents de grandes considérations sur les éruptions volcaniques explosives ou bien effusives, L’assommoir de Zola, le théorème de Thalès ? Là, c’est chacun pour soi, dans le huis clos de la classe ou à son domicile à préparer ses cours. Les élèves de ce collège semblent très ordinaires, plutôt bonne pâte et compatissants avec ses adultes qui se démènent pour leur fourguer leur fameux programme. Mais à quoi bon tout cela ? C’est un peu le mystère…
Alors on se débrouille de la navigation solitaire dans la classe. Et ça peut mal tourner quand, dernier cours de l’année avant les vacances, la tension entre l’enseignante qui veut à tout prix enseigner et les élèves qui ne veulent plus apprendre aboutit à l’impasse : l’enseignante ferme sa salle à clé, affrontent les élèves en se tenant devant eux, et tout le monde est muet de stupeur, n’ayant plus rien à se dire.
On parle beaucoup dans ce métier, dans les classes, dans les salles des profs, à la cantine. On ressort de ce film avec le sentiment qu’on ne sait pas toujours bien s’y prendre, qu’on évite souvent de dire l’essentiel, mais aussi avec la conviction que tout ce qui est montré là pourrait constituer un excellent support pour alimenter des échanges professionnels, parler travail.
Patrice Bride