Des récits du travail

Vendeur, pas voleur !

Gilles Caron a été conseiller de vente dans un petit magasin de matériel hifi et électroménager, avant de devenir écrivain public. Il raconte son ancien métier.

Mon patron, dès que quelqu’un rentrait dans le magasin, voulait qu’on lui saute dessus. Je lui disais non. En tant que client, quand je rentre dans un magasin, je déteste qu’on me tombe dessus. Je pense que la majorité des gens sont comme ça, mais il était dans ses préoccupations de patron. Un client qui rentre dans le magasin, d’une manière ou d’une autre, je lui montre que je l’ai vu rentrer, soit avec un hochement de tête, soit avec un bonjour quand il passe. J’attends un petit moment… Quand un client cherche un rayon, je vois qu’il vient pour quelque chose, mais un client qui rentre et tourne dans le magasin, il fait du tourisme. Je vais le voir par acquit de conscience, mais 99 % des fois, ça n’aboutit à rien. Une fois que le client s’arrête à un endroit, je vais le voir.

C’est comme pour tous les métiers, il y a des techniques. Discuter avec le client, le faire parler, essayer de bien cerner ses besoins. Puis reformuler ses besoins et avoir son accord. Reformuler permet de s’assurer qu’on est bien d’accord sur le besoin et le budget. Ensuite, quand je fais une proposition, si j’ai bien fait mon boulot, il me dit oui, il signe, il achète. Par exemple, mon client me dit : « Mon lave-linge est en panne. » Il m’explique un peu la panne, je comprends que ce n’est pas réparable, on part donc sur du neuf. Il me dit : « Je vis tout seul dans un studio, je n’ai pas un budget énorme… » Quand un client dit qu’il a un petit budget, il a quand même un budget. Avec ces éléments-là, je lui dis : « Si on est d’accord, vous vivez seul, vous avez une ou deux machines à faire par semaine, vous n’avez pas forcément besoin d’une grosse capacité, vous avez tel budget, en fonction de ces critères, j’ai ça ou ça à vous proposer. » Normalement, il va prendre l’un des deux lave-linges. Mais si, comme beaucoup de vendeurs le font, je fais le tour du rayon avec le client en regardant les étiquettes, ça ne marche pas. Le client peut le faire tout seul et il ne se sent pas écouté. Avec quelques années de pratique, j’ai remarqué que les clients ont envie qu’on les écoute, et pas seulement de venir dans le magasin et attendre qu’on leur débite notre discours. Ils ont besoin que ça corresponde à leur besoin à eux.

La question que je ne pose jamais, c’est : « Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » parce que systématiquement, on me répond : « Rien. » Je demande plutôt : « Dites-moi comment je peux vous aider. » et il ne peut pas me répondre oui ou non. En tant que client, si un vendeur vient te voir en disant : « Je peux vous aider ? », c’est facile de dire : « Ah non, merci, au revoir. » Fin de l’histoire ! En position de vendeur, c’est compliqué de se rattraper. Mais si tu dis : « Dites-moi comment je peux vous aider. », le client est obligé de formuler une phrase. Même s’il répond : « Pour le moment, ça va, je regarde. », il y a un premier échange. Le premier pas est fait. S’il commence à enchainer les questions, c’est bon.

La manière dont je vois le rôle de vendeur, c’est avant tout un rôle de conseil. D’ailleurs, dans le domaine où j’exerçais – matériel hifi et électroménager – on disait « conseiller de vente ». Le client vient avec un besoin, et moi je dois lui conseiller le produit le plus en adéquation possible avec ses besoins et son budget, éventuellement lui proposer de la réparation. Vendre n’est pas forcément le plus judicieux : c’est plus intéressant pour le magasin sur le moment, mais on gagne plus d’argent à dépanner qu’à vendre du matériel neuf. Dans l’absolu, on préférait dépanner que vendre du neuf.

La vente à proprement parler, ce n’est pas le plus gros du travail. Sur huit heures de boulot, le temps de vente pur, en temps cumulé, c’est deux ou trois heures. Pas plus. Peut-être que dans d’autres magasins, où il y a plus de fréquentation, le rythme est différent. Là où je bossais, la fréquentation n’était pas énorme, c’était un petit magasin, on était deux salariés, le patron et son fils, il n’y avait jamais de gros coups de bourre. Le reste, dans le magasin, c’est la mise en rayon, le rangement, l’étiquetage, le ménage, les commandes. Comme on faisait aussi du dépannage, entre deux, j’allais aussi à l’atelier. Ça me convenait très bien. S’il n’y avait eu que la vente, une fois que tes étiquettes sont faites, que le ménage est fait, j’attends le client. À la fin, il m’arrivait de m’ennuyer.

Ce qui me plaisait dans mon travail, c’était le contact avec les gens. Le métier de vendeur tel que je le vois – le client a un besoin, il vient chercher un conseil et moi je lui trouve une solution – n’est pas essentiellement mercantile, paradoxalement. Quand tu es vendeur, on te dit : « Pense à ton chiffre, ton chiffre. ». Oui effectivement, tu penses aussi à ton chiffre, à court terme c’est bien. Mais à long terme, ce n’est pas comme ça que tu vas fidéliser le client. Tu peux faire une belle vente, une fois, sur un client lambda, un gros truc, lui en mettre pour plein. Mais très vite, il va se rendre compte que c’est un peu trop et tu es sûr de ne plus jamais le revoir. À l’inverse, si un client vient me voir une fois en me disant : « Ma machine est en panne, il faut que j’en rachète une autre. » et que je lui dis : « Attendez, si elle est en panne, on peut peut-être la dépanner. » et qu’effectivement on la lui dépanne, il va s’en tirer pour beaucoup moins cher que s’il devait acheter une machine. Le jour où sa télé tombe en panne, il sera plus enclin à revenir chez nous que si je lui avais vendu d’emblée une machine, pas forcément adaptée à ses besoins, où il aurait dit : « Bon, lui, ça va… » !

J’ai eu la chance d’être jamais trop contraint avec les objectifs. Même si mon patron ne m’en imposait pas, je les fixais moi-même. Mon idée c’était que mon chiffre évolue et que le magasin tourne, parce que c’était mon gagne-pain. Mon patron a vu qu’il n’avait pas besoin de me fixer des objectifs pour que je fasse mon chiffre. Le choix des produits est important. La gamme de produits qu’on avait en rayon, c’est moi qui la construisais. Dans des enseignes, on te dit : « Ce mois-ci, tu reçois ça. Il faut vendre ça. » Pour moi, c’est plus confortable. Si tu choisis le produit que tu mets en magasin, c’est qu’il te convient et tu as des arguments de vente, alors que si on t’impose une gamme, quand le produit ne te plait pas, tu es censé le vendre aussi. Il m’est aussi arrivé de rentrer un produit en pensant qu’il allait marcher. Mais finalement il ne marchait pas et il était là, alors il fallait le vendre quand même. Mais malgré tout, c’était un produit auquel je croyais.

Quand je sentais que des gens étaient contents de ma prestation et qu’ils avaient le sentiment d’avoir été bien conseillés, d’avoir eu le bon produit au bon prix, j’étais content de moi. J’aimais bien faire des ventes « éthiques ». Il m’est même arrivé quelques fois de dire non à un client. « Je veux bien vous le vendre, mais ce n’est pas pour vous, ça ne vous servira à rien. » J’avais un client, un jeune passionné de sono. Il venait régulièrement acheter de la sono au magasin, un ampli, puis une table de mixage, etc. Chaque fois qu’il venait, au moment de payer, il sortait une liasse de billets et il me disait : « C’est combien de billets bleus ? » Il n’avait pas conscience de la valeur du billet. J’étais un peu mal à l’aise. Je me disais que je pouvais lui dire n’importe quel prix et il ne verrait rien. Moralement, cela me gênait. Une fois, il voulait des enceintes alors qu’il en avait acheté deux mois plus tôt. Je lui dis : « Non, non ! », il répond : « Si, si ! », je lui réponds : « De toute façon j’attends du matériel, reviens plus tard, tu verras… » et j’ai fait en sorte de ne pas les lui vendre. Même si je suis vendeur, je n’ai pas envie d’être un arnaqueur.

Propos recueillis et mis en récit par Agnès Berthe

Une réflexion sur “Vendeur, pas voleur !

  1. Passionnant de voir le métier de ce côté là. J’ai appris des choses. Merci à Gilles et Agnès.

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