Quand le virus informatique traverse la pédagogie

Quand le virus informatique traverse la pédagogie – épisode 4

Lundi 23 mars 2020. Confinement J+7

Reprise avec des sentiments mitigés, entre souci de faire le mieux possible pour les étudiants, et conscience aigüe que la nécessité de devoir faire vite génère du stress. Et puis, pendant le weekend, cela n’a pas été si facile : j’ai été écartelée entre réorganisation domestique et envie de prendre le temps de concevoir une alternative pédagogique pertinente, formative.

En tout cas, j’ai progressé dans l’usage des outils numériques, pour ce qui est du timing : mode brouillon, programmation différée du lancement des consignes et de l’accès aux documents.

La boite mail s’emplit de mails d’étudiants Éducateurs spécialisés en seconde année. Ils doivent envoyer aujourd’hui des travaux intermédiaires aux guidants de leurs écrits professionnels, mais, pour certains, n’ont pas leurs coordonnées mail, ou bien ne les retrouvent plus. Quelques-uns, que je trouve plutôt culotés, m’envoient leurs écrits (vu que je suis la responsable du Domaine de Compétences), se disant soucieux du respect des échéances, et me chargent de les leur transmettre !

En début de matinée, je réponds individuellement. En fin de matinée, agacée, je décide d’envoyer un mail collectif qui récapitule noms et coordonnées des guidants.

Il me faut aussi achever le lancement des invitations pour les classes virtuelles, en naviguant entre les plannings des promotions censées « être en formation ». Intégrer les dernières nouvelles sur les examens reportés, apprendre à consulter les plannings alternatifs, qui sont tous sur le drive partagé. Du fait de mes responsabilités, plus étendues qu’élevées, il me faut consulter plusieurs fichiers. Un module de techniques d’expression est repoussé à une date ultérieure. En conséquence, le programme de mai a été avancé à avril. Mon agenda personnel se remplit d’imprévus soudains et impérieux qui viennent bouleverser mon programme de préparations.

L’après-midi, c’est la première séance de FOAD pour une petite promotion de Passerelle, des moniteurs-éducateurs qui préparent le diplôme d’éducateurs spécialisés en huit mois. Par un échange de mails privés, possible via Classroom, je réponds à des demandes. J’avance en même temps dans la préparation de la semaine, et dans la conception de la semaine suivante. Impression d’une simultanéité des tâches assez fatigante.

Mardi 24 mars 2020. Confinement J+8

Comme chaque mardi matin, réunion d’équipe. On récapitule les programmations, les contenus, on se remémore qui fait quoi. On repère ce qui nécessite une concertation. Les étudiants de deuxième année, toutes filières confondues, ont envoyé ce qui est l’ébauche d’une question de départ pour leurs mémoires. Tous leurs fichiers ont été centralisés dans un drive partagé, il faut donc en prendre connaissance, et compléter un tableau de bord commun. Tout ceci en vue d’une commission de validation, originellement en face-à-face direct, mais là reportée au lundi 30 et mode visio. Je réalise qu’il va me falloir intégrer la lecture de sept écrits, et m’approprier la grille. Je le ferai à la fin de semaine. Tranquillement. On n’est déjà plus dans l’effervescence de la semaine dernière : il faut faire, il faut alimenter le dispositif. Les visages, en gros plans sur l’écran, ou en petites vignettes sur le côté, sont soucieux. On se dit qu’on a vraiment beaucoup à faire, chacun.

J’ai ma première classe virtuelle l’après-midi : une centaine d’auditeurs, sur trois filières post-bac. Des étudiants de la filière ASS (Assistant de service social) se sont inquiétés par mail de ne rien savoir sur cette séance, pendant que j’étais en réunion. Sitôt la réunion d’équipe finie, j’ai donc envoyé le programme.

Il y a d’abord administration d’un questionnaire sur les représentations à propos du travail en équipe, via Socrative, avec un début et une fin définis à l’avance. J’avais prévu de le mettre en œuvre en présentiel dans l’amphi. Puis, en seconde partie de l’après-midi, un cours, où je commenterai un diaporama. Devant mon écran, je peux voir qu’un à un les étudiants remplissent le questionnaire, hésitent, reviennent sur leurs réponses, tandis que d’autres s’inquiètent de ne pas y arriver. C’est amusant ce « live ». J’ai prévu large au niveau du temps alloué, pour prévenir l’affolement lié à l’appropriation de ce questionnaire, j’ai eu raison. Les retardataires s’apaisent. Ce n’est pas un concours ! Il me faut en même temps répondre par mail à des demandes : apparemment, de la solidarité à laquelle je n’accède pas directement se met en place. Comme lors d’un cours « normal », j’ai prévu une pause, qui permet de s’étirer, de bouger, etc. Pendant ce temps, je me sers de Socrative, et de son mode « rapport », pour éditer un document qui récapitule tous les commentaires transmis par les étudiants, aux questions où cela était possible, ainsi que les réponses dites « bonnes ». Je l’intègre dans Classroom aux documents prévus dans la séance, comme le diaporama.

Le cours nécessite un peu d’ajustement technique, entre le son et l’image, les allers-retours visuels entre les diapos, mon cours, et les messages par chat, assez nombreux. Mais je suis sur un sujet que je maitrise, et les étudiants repèrent immédiatement quand il est possible d’adresser questions et remarques, au fur et à mesure du déroulement du cours.

Je finis la journée complètement rincée, mais plutôt contente du résultat.

Mercredi 25 mars 2020. Confinement J+9

Une matinée tranquille à traiter les mails, à avancer dans la conception des séances à venir, à lister les tâches à venir, à les prioriser, à tenter de les intégrer dans un emploi du temps pour le mois à venir, si chamboulé. Comme bien des fois, lorsque je suis à mon bureau au centre de formation, j’ai l’impression de papilloter. De commencer des choses, mais de ne rien finir.

En début d’après-midi, nous nous retrouvons entre formateurs de la commission de validation des « questions de départ » des mémoires, plutôt pour parler de la logique pédagogique et de sa mise en œuvre dans le temps, et nous coordonner. Il y a ceux dont c’est la mission d’élaborer les documents de référence et les consignes vers étudiants et guidants. Et tous, dans des proportions différentes selon notre familiarité avec la méthodologie d’un mémoire de recherche, nous avons à lire, commenter les écrits, inscrire nos retours dans une temporalité… L’anxiété s’exprime. Et là, à chacun son style : sourcils froncés pour l’un, retrait attentif et concentré pour plusieurs, verbalisation explicite et directe à voix haute et forte pour d’autres. Je remarque que le rapport au débat contradictoire n’est pas le même pour chacun.

Moi, j’essaie de comprendre ce qu’il faut faire, et quand. J’essaie aussi d’évaluer la charge générée par l’organisation du travail que nous construisons. Pour ne pas nous-mêmes alimenter l’épuisement professionnel. En effet, non seulement cette guidance de mémoire professionnel avec méthodologie de recherche est une première pour certains, mais le confinement avec le seul travail des permanents, jusque début mai, génère une surcharge de travail. Nous savons que nos préconisations et décisions vont impacter nos emplois du temps d’ici juillet. Nous ne pourrons, alors, que nous en prendre à nous-mêmes. Les échanges sont vifs, dans tous les sens. Les collègues en charge de la coordination tentent des synthèses, nous assurent qu’un récapitulatif écrit sera établi. J’attends déjà avec impatience le récapitulatif de ceux qui coordonnent le dispositif, pourtant pas les plus aguerris en méthodologie de recherche.

Je retourne ensuite à mes activités solitaires, fatiguée de cette réunion. Je vais commencer à lire ces fameuses questions de départ, et me faire une opinion. J’en ai sept. D’intéressantes questions, mais à mes yeux imprécises, avec des mots-clés plus ou moins clairs, et vraiment très très peu de références bibliographiques. La moitié ont rédigé leur écrit sans se relire : pas de structure, pas de plan, et parfois plein de fautes de français. Des collègues ont pointé ce peu d’avancement tout à l’heure. Nous ne sommes pas surs qu’ils aient compris ce qui était demandé, et l’absence momentanée de document de référence méthodologique institutionnel valide n’aide personne. Nous, comme les étudiants de ces promotions qui essuient les plâtres de la réforme de 2018, avançons modestement, mais surtout, à tâtons.

Je renvoie mes commentaires et suggestions aux trois premiers. En début de soirée, une des étudiantes, par mail, m’envoie un message de panique, interprétant mes nombreux surlignages directement dans le texte comme autant de signes de son « hors sujet ». La connaissant, je lui réponds dans la foulée, en lui assurant qu’elle a compris, mais que je lui suggère des pistes d’affinement, de précisions, que je dialogue avec elle. Je l’invite à reprendre son texte demain, à tête reposée. Je lui rappelle que l’on est au tout début du mémoire.

Jeudi 26 mars 2020. Confinement 2020 J+10

Ce matin, séance en petit groupe auprès d’une grosse quinzaine d’étudiants de première année, dans un petit groupe de suivi des stages et d’analyse de pratique. Je n’en suis pas l’habituelle animatrice, mais comme toutes les interventions sont assurées par les formateurs permanents en cette période de confinement, cette tâche m’a été confiée. Les étudiants ont été avertis de cette configuration par les responsables de formation. Au programme, pour tous les groupes, un temps d’analyse des pratiques, puis un temps d’exposés individuels, censé articuler les apports d’une semaine thématique spécifique avec le terrain de stage.

La mise en lien via la visio se fait rapidement : chacun, en trois jours, a progressé dans l’usage des aspects techniques. Je fais le point sur les présents, rappelle les objectifs et l’organisation de la séance, comme je l’aurais fait en présentiel. Les étudiants suivent, alternant prise de parole et chat. La question qui traverse les esprits c’est, d’une part, la réquisition des travailleurs sociaux salariés, en télétravail ou en accompagnements directs, d’autre part l’appel au volontariat, lancé par la DRJSCS (Direction régionale de la Jeunesse, des sports et de la cohésion sociale) et que les centres de formation relayent. Des étudiants expriment leur doute à pouvoir apporter quelque chose, du fait leur faible expérience de terrain. J’entends leur envie d’être utile, qui se veut cohérente avec leur projet professionnel dans le travail social. Je tente de leur montrer qu’ils peuvent déjà aider les enfants dans la scolarité à domicile, dans les foyers pour enfants. Ils peuvent assurer des activités de groupe, sport ou expression artistique. Les plus anciens du groupe sont encourageants pour les plus jeunes. C’est du volontariat, pas du stage, mais c’est de l’expérience.

Ensuite, après quelques minutes de pause, nous nous concentrons sur les exposés, d’une quinzaine de minutes de chacun. Chaque fiche individuelle est prête, je n’ai plus qu’à cocher, et commenter, directement dans le document matriciel. Chaque étudiant se lance, tout le monde écoute. Je demande s’il y a des commentaires ou des questions. Elles arrivent majoritairement par chat. J’évalue. Ce sont d’excellents exposés, clairs, précis. Aucun doute pour une validation systématique de ceux qui présentent. La matinée passe très vite. Prochaine séance en mai, pour cette validation.

L’après-midi, je poursuis mes lectures de mémoires de fin d’études. Une étudiante, décontenancée par des retours effectués par son terrain de stage, hésite sur la conduite à tenir. L’étudiante d’hier m’a renvoyé un écrit remanié, plus précis et clair. Je lui envoie de suite un mail d’approbation.

Décision est prise d’initier un entretien visio-téléphonique avec celle qui achève son mémoire. La conversation commence quelques minutes après. En fait, elle a opté pour l’intégration des remarques venues du terrain, et nous échangeons d’abord sur ce qu’elle veut faire passer dans son mémoire, sur l’analyse qu’elle entend produire. Puis, nous nous mettons d’accord sur un fichier docs en partage à deux, pour pouvoir travailler sur le même texte. Vive, comme d’habitude, elle me met en partage son fichier, tout en parlant avec moi. Elle attend avec impatience la fin de la formation et le diplôme, aussi elle se concentre sur ses écrits, dans ce moment sans cours. La hâte d’en finir la motive à travailler avec assiduité.

Je reprends mes préparations, en programmant les invitations pour des visios, et en rédigeant les fiches pédagogiques pour les dossiers internes Qualiopi. Une collègue m’a envoyé des références pour des sites anglophones consultables pour les séances de langues étrangères. L’enseignante en anglais est une vacataire, aussi faut-il imaginer une alternative.

Il va me falloir les explorer ce weekend pour décider d’un programme pertinent, et sur mesure du fait de l’hétérogénéité des niveaux parmi les étudiants de seconde année.

Laurence, psychosociologue

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