Dire le travail en temps de confinement/Employés municipaux dans la bourrasque du confinement

Employés municipaux dans la bourrasque du confinement – épisode 3

Fin de la quatrième semaine de confinement

Environ vingt-cinq jours de confinement, on ne sait plus vraiment, et on s’en fout un peu, même si ça démange de penser au déconfinement. Parmi nos partenaires de l’Éducation nationale, une « tendance » — une rumeur ? — se dégage sur la reprise de l’école après les vacances de Pâques, à partir du niveau collège. Les crèches, les écoles maternelles et primaires resteraient fermées en raison de la difficulté de faire respecter les mesures barrières aux plus petits. On réfléchit aux adaptations nécessaires au Conservatoire pour s’adapter à un tel scénario : marquage au sol pour le respect des distances de sécurité, installation des protections en Plexiglas pour les postes d’accueil, gel hydroalcoolique en quantité suffisante pour les enseignants et les élèves, organisation de l’entretien des locaux, planification adaptée aux cours, etc. L’ambition, justifiée, de l’encadrement étant d’anticiper au mieux pour éviter les pénuries dans l’approvisionnement des matériels utiles. C’est aussi à ça que doit servir un Plan de continuité de l’activité.

Le sketch sur l’octroi des tickets restaurants se poursuit. Alors qu’il n’apparait pas discutable qu’ils doivent être maintenus pour les agents en télétravail (loi plutôt claire, commentaires concordants, position de l’URSSAF, etc.), notre directeur général continue de ne pas être convaincu. Mais il ne l’était pas non plus par le raisonnement juridique développé par le ministre de la Fonction publique. Je ne dis pas qu’on ne pouvait pas ironiser sur l’utilisation d’un décret de 1950 créé pour mettre en autorisation d’absence les fonctionnaires pour les protéger contre la… variole, mais de là à en refuser l’application ! La décentralisation s’organise toujours dans un État de droit unique.

La dernière trouvaille de notre exécutif serait de les attribuer selon trois catégories :

  • Droit inchangé pour les agents de catégorie C qui travaillent quotidiennement pour les services publics essentiels et donc maintenus : collecte, centre de tri, fourrière et entretien des locaux ;
  • 50 % des tickets pour ceux qui sont en télétravail ou présentiel partiel. Depuis quatre semaines, j’ai travaillé chaque jour matin et après-midi, du lundi au vendredi. Comme tous mes collègues des ressources humaines, avec parfois des horaires très matinaux ou tardifs pour concilier le travail avec la garde des enfants. Comme les quatre agents du service Sécurité des systèmes informatiques qui assurent la maintenance de ce télétravail de masse en luttant par ailleurs contre la recrudescence du risque de piratage. Comme la direction qui s’efforce d’adapter chaque jour son management pour continuer de garder le lien professionnel avec chaque agent. Conformément aux principes directeurs du service public que nous ont appris nos professeurs de droit public à l’Université : égalité, continuité, adaptabilité et accessibilité. L’ironie veut que certains agents aient découvert ces principes par notre employeur, professeur de droit de profession…

Pas besoin d’être grand stratège pour deviner la réaction des agents. On vous demande de continuer de travailler à la maison, même si rien n’était préparé, même si on ne vous prête pas de matériel parce que vous n’en avez pas assez, même si vous devez le partager avec vos enfants et votre conjoint, et même vous occuper de vos enfants… Et en retour, pour quelques euros, on vous dit : en vrai on ne vous fait pas confiance, on le sait que vous profitez du confinement pour vous la couler douce…

Rapide calcul. Nous avons chacun, chaque mois, 19 tickets de 4 € avec 2,4 € de participation employeur, soit 45,60 € par agent. Sur une base de trois-cents agents, ça donne un cout d’environ 13 500 €. L’employeur économiserait donc moins de 7 000 € par mois. Sur une masse salariale qui dépasse largement les 10 millions, ce n’est rien. Objectivement on pourra dire que perdre 40 € de tickets restaurants avec un salaire intégralement maintenu est un sacrifice minime pour les agents ; qu’il ne faut pas avoir d’œillères sur ce qui se passe autour de nous, se rendre compte des effets notamment du recours massif au chômage partiel dans le secteur privé pour les intéressés. Sauf que pour les agents de catégorie C en début de carrière, rémunérés tout juste au-dessus du SMIC, 40 € représente déjà un montant pas tout à fait anodin. Et puis

ce qui compte sur ce sujet c’est le message envoyé : l’absence de confiance. À l’image de ces élus qui critiquent le nombre de fonctionnaires au Parlement et qui recrutent à tour de bras les colleurs d’affiches dans leur collectivité. Les agents vont-ils se mettre à travailler à 50 % en télétravail ? Tentant…

  • Je n’oublie pas la troisième catégorie, ceux qui sont confinés et pour qui le télétravail est impossible : agents de déchetterie, espaces verts, maintenance des bâtiments… ils sont statutairement en autorisations d’absence et n’ont donc assez logiquement pas vocation à bénéficier de titres restaurants. Sauf que, là aussi, notre exécutif veut dicter sa loi. Si un agent intervient même ponctuellement, une fois dans la semaine, il basculera dans la deuxième catégorie, avec des droits maintenus à moitié. Typique de l’exception qui deviendra plus importante que le principe. Tous les responsables de service trouveront une participation à minima dans le cadre d’un roulement quelconque… Et la règle si mal conçue génèrera une iniquité sans limites : les agents qui travaillent effectivement à temps plein seront traités comme les agents qui travailleront quelques heures par semaine. Dans cette crise où l’employeur devrait tout mettre en œuvre pour maintenir la cohésion collective, rassurer et prévenir les maux inhérents au confinement, c’est une lutte des égos qui prévaut, avec comme seul objectif la communication politique.

Pendant ce temps là, nous parvenons au moins à convaincre de l’intérêt de préparer une foire aux questions à destination des agents, pour essayer de répondre aux interrogations les plus fréquentes et surtout rassurer, garder le lien.

Pendant ce temps là, les messages de soutien et de remerciement affluent chaque jour pour les agents du service de collecte des déchets. Tous sont affichés au dépôt du service. Une enseigne de restauration rapide offre à chaque agent un repas. Le vendredi en fin de tournée, tous les camions-bennes se regroupent sur le port et font leur parcours à coups de klaxons en passant devant d’autres lieux symboliques que sont la caserne des pompiers et surtout l’hôpital. Il ne faut pas négliger l’importance du soutien reçu par les agents, dont on constate un absentéisme quasi nul ces dernières semaines.

Je reste malgré tout dubitatif sur la pérennité de cette reconnaissance sociale. Je n’oublie pas la période « Nous sommes Charlie » et la fraternité manifestée envers les policiers, laquelle s’est très rapidement évanouie pour redevenir de l’hostilité, voire de la haine. Avant le confinement, les éboueurs faisaient partie de ces « invisibles » de notre société, travailleurs aux revenus modestes, fatigués, mais infatigables, conspués à chaque mouvement de grève et dont la pénibilité n’a jamais été réellement reconnue. Qui n’a pas insulté un éboueur parce qu’il le « retardait » le matin sur le chemin de l’école ou du travail ?

L’État encourage à juste titre le versement des primes exceptionnelles alors qu’il y a quelques semaines il proposait la suppression des régimes de retraite permettant des départs anticipés à partir de 57 ans. Quelle société fait travailler des rippeurs à 65 ans ? Comme le traitement réservé à nos prisonniers, aux SDF, aux migrants, il s’agit à mon sens d’un indicateur fiable sur l’état de la solidarité et de la fraternité dans notre monde.

À titre personnel je suis convaincu que notre échelle sociale reprendra son ordre ancien sitôt la crise terminée.

Sébastien, responsable du service des ressources humaines dans une communauté d’agglomération des Hauts de France

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