Dire le travail en temps de confinement

Le premier jour du reste de ma vie confinée

Nathalie a 50 ans et vit dans une maison à Bayeux. Elle est formatrice.

« Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce que l’on fasse. » Cette phrase de Nelson Mandela résume bien ce que je vais vivre en cette première journée de télétravail. Formatrice depuis de nombreuses années, je me suis souvent dit que je ne pourrais jamais travailler à la maison, c’était impossible. Mais ce 16 mars 2020 va changer la donne, je vais devoir le faire. La situation préoccupante de la propagation du COVID 19 ne me laisse pas le choix.

La première question que je me pose : où vais je m’installer ? Je n’ai pas de bureau ou de pièce qui pourrait avoir cette fonction. Dans ma chambre, il y a cette table qui ne sert pas à grand-chose, y sont déposés depuis un certain temps quelques vêtements… Ça sera l’occasion de faire un peu de rangement. C’est décidé, c’est ici que je m’installe pour travailler. L’ordinateur, les documents et les dossiers prennent place dans ce nouvel environnement.

Je suis prête, je fais la liste des tâches habituelles : lire les messages et y répondre, réfléchir à de nouveaux supports pédagogiques pour les mettre en ligne, etc. J’allume l’ordinateur. Je ne sais pas par quoi commencer. Je m’éparpille, j’entame une tâche puis une autre. La concentration est difficile. Je regarde autour de moi, il faut dire que l’environnement ne s’y prête pas. J’ai face à moi mon lit, il m’ouvre grand les bras, j’ai comme l’impression qu’il m’appelle. Est-ce le premier effet du confinement ? Derrière moi, la fenêtre est ouverte, le soleil me réchauffe agréablement le dos, j’entends les oiseaux chanter : une invitation à la méditation, au lâcher-prise. « Nathalie, ressaisis-toi, concentre-toi, allez au travail ! » Voilà que je me parle maintenant. Tout est mis en scène pour que je ne travaille pas. Même le chat s’y met. Allongé sur le lit, il me nargue en s’étirant, en bâillant. Il ferme les yeux et s’endort. « Cela me semble toujours impossible. »

Pourtant, ma motivation est plus forte que tout. C’est parti. Je m’essaie à utiliser des outils numériques, la plateforme et tout ce qui peut être proposé pour travailler à distance. Certains me sont familiers d’autres non. Je fais une tentative pour une visioconférence. Je suis contente : ça marche. Un petit rien devient une grande satisfaction. Comme par magie, je vois apparaitre sur l’écran de l’ordinateur le visage en mouvement de ma collègue. Victoire ! Pas si bête à 50 ans ! Et quel plaisir d’échanger avec elle ! J’aimerais tellement qu’elle soit là « pour de vrai ». La conversation s’arrête. Je me retrouve bête face à cet ordinateur au fond noir. Décidément, je n’aime vraiment pas travailler seule.

Soudain, la maison tremble. Les enfants sont réveillés, ils descendent avec énergie les escaliers. Ils rentrent dans ma chambre et se mettent à rire. Ils trouvent drôle de me voir travailler… en pyjama. Il est vrai que je n’ai pas pris le temps de m’habiller, c’est agréable d’être en tenue « décontractée ». Je passe d’un vêtement de nuit à un vêtement de jour, un jogging. Je m’invente un nouveau style « naturelle-décontractée ». À ce look, ne surtout pas ajouter de maquillage, ni bijoux, ni parfum. Ils sont confinés dans les tiroirs. C’est nouveau pour moi, mais je me sens bien comme ça.

Une deuxième question se pose : à quel moment les enfants vont-ils pouvoir utiliser l’ordinateur ? Il n’y en a qu’un à la maison. Nous décidons de faire un planning. C’est bien la première fois que je fais ce genre de choses avec les enfants. Nous sommes tous les trois d’accord sur l’organisation. Quel beau travail d’équipe ! À certaines heures, feuilles et stylos remplacent l’outil informatique. La tâche est plus longue, mais elle se fait.

La maison vit. Il faut savoir faire avec le bruit, accepter d’entendre la musique des enfants, les conversations téléphoniques avec leurs amis. Sur mon lieu de travail, je sais faire avec la présence des autres. La porte de mon bureau est très rarement fermée, je trouve le passage des collègues et les échanges dans le couloir rassurants. Mais à la maison, c’est une autre histoire, cela me gêne. C’est difficile de leur dire d’arrêter. Il faut bien qu’ils s’occupent. Je vais faire avec.

En ce premier jour, chacun prend ses repères, la vie s’organise. J’ai pu travailler, pas comme je le souhaitais, mais c’est un bon début. Je l’ai fait, ce n’est pas impossible.

Nathalie, formatrice

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