Thomas est paysan et transforme ses céréales en farine et en pain dans le Poitou. Chaque mardi, il livre le pain aux adhérents d’une association de consomm’acteurs dans une ville des Deux-Sèvres.
Jeudi soir, le président a annoncé la fermeture des écoles : on s’est dit qu’il fallait anticiper une autre organisation pour livrer nos produits. Durant le weekend, on a reçu des appels d’adhérents inquiets. Les halles de Parthenay sont étroites. Nous n’étions pas sereins à l’idée d’y accueillir le mardi suivant les membres du biau panier qui viennent chercher leur pain, leurs légumes, leur fromage de chèvre et leurs œufs. Nous ne voulions pas prendre le risque de voir des personnes contaminées. J’ai parlé à des copains de Grenoble qui alimentent en bio des cantines scolaires. Le 12 mars, ils avaient préparé pour 15 000 € de commande. Après l’annonce de la fermeture, ils ont mis rapidement en place un drive pour écouler les aliments. J’ai trouvé l’idée séduisante et efficace et j’en ai parlé avec Claire, Claude et Laurence qui livrent avec moi. On s’est beaucoup appelé pendant le weekend pour murir l’idée. Nous attendions aussi le retour de la mairie de Parthenay le lundi matin qui a effectivement fermé les halles. Claude a proposé d’accueillir les adhérents dans la cour de sa ferme à Pompaire, proche de Parthenay. On a beaucoup débattu : certains étaient anxieux et ne voulaient pas prendre cette responsabilité pour eux ni pour les autres, d’autres estimaient qu’on pouvait fonctionner ainsi sans se mettre en danger. Nous avons réussi à arbitrer entre les différents points de vue. On s’est dit qu’on pouvait le faire et on a attendu le discours d’Emmanuel Macron prévu le lundi soir. Vu la teneur de ses propos, on a compris qu’on pouvait maintenir distribution. Le maire de Pompaire avait donné l’autorisation nécessaire à Claude. Nous avons demandé aux deux bénévoles de l’association qui nous aident fréquemment d’assurer la circulation et nous avons transmis les instructions aux adhérents : « Tous les paiements sont différés pour limiter les contacts. Vous restez dans votre véhicule et nous vous tendons les produits. » Leurs retours ont été très positifs, on s’est dit qu’on avait trouvé la moins mauvaise solution.
Après cette première étape, on attend de savoir si on pourra recommencer demain, à condition que les marchés soient maintenus ouverts. L’autorisation ne va pas de soi pour nous car une cour de ferme n’est pas un lieu à vocation commerciale comme un magasin. En attendant, je prépare le pain, je ne peux pas attendre la dernière minute. En cas d’interdiction, je trouverai toujours des solutions pour écouler une partie des produits. J’ai plus de commandes que d’habitude. Peut-être que les gens font des réserves, mais je n’ai pas envie de surfer sur une vague aussi catastrophique pour faire tourner mon activité. Si je dois stopper les livraisons quelques semaines, j’arrête simplement de moudre la farine. Et puis la dimension économique a peu de valeur au regard des enjeux humains. Les chèvres de Claude, par contre, elles vont continuer à avoir du lait. Les poules de Laurence vont pondre. Les légumes de Claire vont pousser, même si ce n’est pas la période la plus productive de l’année.
Évidemment, on se dit, qu’à partir du moment où on a un contact, on prend un risque, mais moindre par rapport aux caissiers par exemple : la distribution ne dure que deux heures. J’ai eu au téléphone un couple d’adhérents âgés. La semaine dernière, ils m’avaient prévenu qu’ils ne viendraient pas chercher leur pain. Cette semaine, ils vont venir parce qu’il faut bien manger. Je leur ai dit : « Posez votre panier sur le siège arrière de votre voiture, ouvrez seulement la fenêtre, je vous mets le pain. » On essaie de faire au mieux pour limiter les risques, mais rendre service tout de même.
Thomas, paysan boulanger
Propos recueillis et mis en récit par Nathalie Bineau
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