Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 41

Mercredi 22 avril

Ce matin, après trois bonnes heures de travail avant le lever du soleil, je me réjouis d’une prochaine visite : à 10 h, un entrepreneur vient à nous pour un projet de travaux dans la maison. Les occasions de recevoir quelqu’un ont été nulles depuis le 17 mars. Et porter un projet, même lointain, nous fait faire un saut vers l’avenir, nous fait nous sentir vivants. Je dis lointain parce que notre visiteur nous confie dès son arrivée qu’il n’a pas l’autorisation de lancer un chantier et que ses fournisseurs ne sont pas tous en mesure de lui procurer tous les matériaux. Si nous faisions affaire, la commande ne serait réalisée que dans un an au plus tôt.

Notre longue conversation nous conduit directement vers le déjeuner. Puis je me retrouve de nouveau devant l’écran pour une sixième interview : cette fois, c’est une soignante en affection de longue durée dont je recueille le récit. Elle te lit régulièrement, mon journal bien aimé. S’étonne auprès de moi de ce que mon activité professionnelle recouvre. Deux témoins supplémentaires s’invitent dans l’entretien : ses deux jolis enfants de 7 et 5 ans sortent de la sieste et rejoignent leur maman. Pendant notre échange, l’ainé intervient. Conduit aux urgences il y a quelques jours pour un accident domestique, les docteurs ont regardé son ventre, explique-t-il, et lui ont dit qu’il n’avait pas le coronavirus.

Après la promenade règlementaire et la transcription des toutes récentes interviews, j’attends la connexion d’une amie pour un apéro virtuel. Elle m’appelle avec vingt minutes de retard pour me prévenir qu’elle « ne rejoindra pas la réunion » pour reprendre le vocabulaire consacré. Elle a regardé un Thema sur Arte dédié au contrôle des données personnelles et Zoom a été pointée du doigt. Elle attendra la fin du confinement pour un apéro réel.

La journée de travail s’achève par une conversation téléphonique avec Marc et sa femme. Nous sommes presque à la fin en dépit de quelques coquilles ou inexactitudes mineures. Mon travail est salué. Toutefois, ma cliente formule une ultime requête : une autre affaire judiciaire, encore plus médiatique celle-là, a fait l’objet d’une enquête que la critique décrit comme passionnante. Elle me renvoie au Bûcher des innocents, le livre de Laurence Lacour sur l’affaire Grégory. Peut-être ce livre pourrait-il m’inspirer quelque perfectionnement de mon écriture.

Je ne l’ai pas lu, mais je suis ouverte à toute suggestion si elle peut sublimer ma biographie. Je fais appel à Monsieur Gogol. Constantin Costa-Gavras en personne a qualifié de formidable et d’effrayant le récit de l’envoyée spéciale d’Europe 1. Mais la différence est de taille entre elle et moi, sans compter l’expertise journalistique : elle a suivi l’enquête policière et l’instruction de bout en bout dans la vallée de la Vologne, ce que je ne pourrai plus faire puisque l’affaire est close depuis 2017. Et elle parle à la première personne, relatant en même temps son itinéraire initiatique dans l’élucidation impossible d’un crime incomparable.

Toutefois, ce conseil a attisé ma curiosité. Je commande le livre.

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe

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