Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 42

Jeudi 23 avril

L’intérêt de se coucher tard quand on dort peu, c’est qu’on se réveille à une heure presque normale : 6 h, accompagnée des premiers chants d’oiseaux et ce, bien avant les premières lueurs de l’aube. Je rédige le texte d’Aurélien, l’ouvrier de chez Peugeot. L’envoie à Patrice, lui indique en même temps que je ne parviens pas à ouvrir celui de Sébastien, donne mon avis sur sa proposition de recueil de récits de déconfinement auprès des personnels de l’Éducation nationale.

Je reprends une fois de plus (c’est officiellement la quinzième version) la biographie de Marc et sa femme. Outre la lecture du Bûcher des innocents, qui est au programme, mais sans revêtir un caractère d’urgence, je fais quelques corrections et une poignée de compléments. J’ajoute la page de remerciements que Marc m’a envoyée il y a deux ou trois jours : je constate avec plaisir que je figure parmi les personnes remerciées, aux côtés de la femme qu’il aime et de ses fils, des avocats, des forces de l’ordre présentes au tribunal, mais aussi de deux personnes ayant assisté au débat. Parmi elles, l’acteur Jean Benguigui et une « chère inconnue » qui l’a rassuré de ses sourires amicaux et avec laquelle il a fait quelques pas dans les couloirs du tribunal.

Je me hasarde à écrire à mon tour des remerciements sans savoir s’ils resteront dans le manuscrit. La place de la biographe est ingrate. Elle doit s’effacer devant les auteurs officiels. Doit disparaitre. Même si Marc m’a proposé que je figure sur la couverture, même s’il m’a assurée qu’en cas de réussite commerciale du livre, je serais récompensée, le contrat qui nous lie prévoit que je renoncerai aux droits d’auteur. J’avais téléphoné à l’avocat de l’association Normandie Livre et Lecture pour en échanger : il avait infirmé la position des groupements d’écrivains publics consistant à s’opposer formellement à toute transgression dans ce domaine. Oui les « nègres » (que l’on appelle pudiquement les écrivains-fantômes ou les prête-plumes aujourd’hui) peuvent demander un pourcentage sur les ventes, m’avait-il répondu. J’avais aussi pris connaissance sur le Net d’un article portant sur le rôle et la place des écrivains travaillant en duo avec des personnalités et notamment des chefs de cuisine. Certains figurent en effet sur la jaquette du livre en dessous du nom prestigieux et dans une police plus petite. Bénéficient le plus souvent d’un forfait sur les ventes supposées.

L’argent n’est pas ma motivation, mais, si le bouquin rencontre son public, ce que je souhaite à ses auteurs, je serais ravie d’en cueillir les retombées sur le plan de la notoriété. D’obtenir des propositions tout aussi intéressantes. À ce propos, opération publicitaire aujourd’hui : ma vidéo de quatre minutes est en ligne sur le site de France 3 Normandie, en compagnie de cinq autres auteurs et artistes régionaux. Il faut que je remercie la journaliste. Un ami me téléphone, qui a visionné le film, l’a trouvé très bien, a même ri quand j’ai lu que le jardin ne « foutait rien ». Mon fils l’a vu aussi et s’est demandé si je parlais bas parce que Stéphane faisait sa sieste. Pas faux : c’est un des effets du confinement que l’espace à partager et le respect des « activités » de l’autre.

Après le déjeuner, je reprends le test de recettes de cuisine : j’ai mis le frein depuis que la balance râle, avant de reperdre un kilo et donc de m’autoriser un petit dessert. Un par semaine pourrait être un rythme raisonnable. Cette fois-ci, ce sera un flan pâtissier. J’ai cherché sur les sites dédiés la recette facile à réaliser sans les mille ingrédients impossibles à avoir dans ses placards à tout moment. Je pèse, chauffe, mélange, verse, jette, range, rince… jusqu’ici tout va bien. Puis c’est le drame : les bords du moule ne sont pas suffisamment hauts, l’appareil à flan (oui, je découvre que la crème s’appelle un « appareil ») a un volume trop important, et quand je veux déposer le tout dans le four, je tremble et je renverse… sur le sol, dans les tiroirs, sur la grille, jusque sur les pieds chromés des tabourets. Ça colle, ça s’insinue partout, je peste contre moi, vais chercher éponge, lingette, toile à laver… Il faudra assurément faire un nettoyage pyrolyse après que le flan sera cuit.

Après l’énervement, le calme : je corrige le récit de Sébastien, RH dans une collectivité locale du nord de la France. Il prépare le déconfinement, se pose de nombreuses questions, écartelé entre la base et la hiérarchie, adepte du contrat social qui lie à la fois les obligations des autorités et des fonctionnaires. Je rédige le récit de Lucie en intégrant les deux textos qu’elle m’a envoyés hier soir et ce matin, depuis la queue d’une grande enseigne de jardinerie. Je mets en toile de fond les chaines d’info en continu, une fois n’est pas coutume.

Les débats ne portent plus que sur le déconfinement. Tout est dit et son contraire. Macron va faire une déclaration ce soir.

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe

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