Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 18

Lundi 30 mars

Ce matin, je quitte mon domicile au volant de ma voiture. Elle était à l’arrêt depuis quatorze jours. Le parebrise est recouvert d’une pellicule de sel marin apporté par le vent qui souffle fortement depuis plusieurs jours. J’ai pris rendez-vous une semaine plus tôt avec mon nouveau médecin traitant pour demander le renouvèlement de médicaments dont j’ai impérieusement besoin. J’ai volontairement choisi l’horaire de 9 h 15 pour croiser un minimum de patients dans la salle d’attente. Sur le site Doctolib étaient affichés les messages suivants :

  • Venez sans accompagnement. Si ce n’est pas possible, venez au maximum avec une personne.
  • Veuillez respecter scrupuleusement votre horaire de consultation afin de passer le moins de temps possible en salle d’attente.
  • Respectez une distance minimale d’un mètre dans la salle d’attente ou en dehors.
  • Lavez-vous les mains avant d’entrer dans le cabinet et après votre consultation.
  • Respectez les autres consignes de la salle d’attente.

Lorsque j’arrive au Pôle santé, qui réunit de nombreux praticiens, le hall d’entrée est vide. J’utilise le gel hydroalcoolique mis à ma disposition. Une affiche est scotchée sur le cabinet infirmier : pas de permanence physique des soignants. J’imagine qu’ils ne reçoivent les demandes urgentes que par téléphone. Le médecin voisin du mien est visiblement seul dans son cabinet : il sort pour me demander si je viens consulter sa consœur, ce que je confirme. Quand je m’installe dans la salle d’attente, j’entends des voix derrière la porte : la jeune femme médecin reçoit un homme. Quelques minutes plus tard, elle lui dit au revoir. Il sort sans passer devant moi par une porte qui donne directement sur la rue, ce qui est habituel : ce circuit n’est pas spécifique au temps du confinement.

La jeune médecin (pourquoi n’y a-t-il pas de féminin à médecin ?) est obligée de s’approcher à moins d’un mètre de moi pour prendre ma tension et écouter mon cœur, mais heureusement elle porte un masque. Elle constate que ma fréquence cardiaque est élevée. « Le stress sans doute », explique-t-elle. Elle me demande si l’examen cardiaque auquel je devais me soumettre le lendemain a été maintenu. Elle considère que c’est une bonne chose qu’il ait été annulé : « Ce n’est pas le moment pour fréquenter les hôpitaux. » Quand je partage avec elle mes troubles du sommeil, elle est rassurante : « L’inactivité aggrave ce genre de symptômes. ». Si je ne constate pas d’autre signe inhabituel, je ne dois pas m’inquiéter.

Je profite de ce déplacement pour m’arrêter, sur le chemin du retour, au supermarché le plus proche : étant en voiture, je pourrai aujourd’hui ramener des articles lourds comme un pack d’eau, des bouteilles de lait ou encore un filet d’oranges. J’ai emporté avec moi deux attestations pour distinguer ma consultation et mes courses. Mais je me suis « emmêlé les pinceaux » (pas étonnant, je suis nulle en peinture !) et j’ai coché la mauvaise case sur celle que j’ai remplie en sortant de chez moi. Pourvu que je ne rencontre pas la gendarmerie !

À compter de mon retour à la maison, je me consacre à l’entretien biographique que j’ai recueilli la veille, à l’exception du temps du déjeuner. Pour quarante-cinq minutes de récit, et en dépit du fait que j’aie utilisé l’outil de transcription en ligne, je passe cinq à six heures à écrire et à actualiser le manuscrit. Je reçois aussi des nouvelles de l’amie qui a pris l’initiative d’animer un atelier d’écriture par Whatsapp. Elle a corrigé son texte. Je le transfère à qui de droit.

Un texto arrive sur mon portable : ma fille m’envoie une photo d’une feuille blanche sur laquelle mon petit-fils a écrit « je t’aime Coco » et a dessiné neuf cœurs. Ma journée est réussie…

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe

Licence Creative Commons
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.