Dire le travail en temps de confinement/Employés municipaux dans la bourrasque du confinement

Employés municipaux dans la bourrasque du confinement – épisode 4

Fin de la cinquième semaine de confinement

Lundi de Pâques, la chasse aux œufs a bien lieu, la récolte est abondante, comme chaque année. Moment joyeux respecté, une saveur particulière même. Le travail ne s’arrête pas malgré tout : un agent du service de collecte des déchets, qui reprenait le travail après plusieurs mois d’arrêt, est positif à l’éthylotest à sa prise de poste, c’est-à-dire à… 6 h du matin.

La démarche se fait sur la base d’un protocole approuvé en CHSCT et même soutenu par le syndicat représentant le personnel. Si l’agent est sans conteste malade, il met en danger sa sécurité lorsqu’il exerce son métier de ripeur dans un tel état. Il sera reconduit dans la foulée et suspendu jusqu’à nouvel ordre. Le médecin de prévention devra assurer un accompagnement médical, en espérant la coopération de l’agent. Sinon il ne guérira pas. Une procédure disciplinaire pourra être enclenchée pour rappeler qu’il s’agit d’un manquement grave aux obligations de sécurité au travail.

La situation sociale est parfois complexe dans ce genre de service. Un autre agent a été incarcéré début janvier pour violence conjugale, là encore sous fond d’alcool, et il s’agit probablement d’une récidive. Il pourrait être libéré prochainement dans le cadre de la démarche du ministère de la Justice visant à réduire la surpopulation carcérale qui rend encore plus difficile la gestion de l’épidémie (vérification faite sur les modalités de sa libération, il ne pourra pas retourner à son domicile…). On peut estimer qu’il aura purgé sa peine avec quatre mois passés en prison et privés de rémunération. Restera à gérer sa réintégration dans l’équipe…

Après l’annonce par le président d’une date possible de déconfinement au 11 mai, il faut se mettre en action pour organiser la reprise. Ébaucher des scénarios de réouverture des déchetteries en assurant la sécurité de tous, agents, usagers, professionnels. Évaluer le nombre de personnes pouvant être accueillies simultanément pour préserver les distances, les mesures-barrières.

À l’image des questionnements sur les modalités, voire la faisabilité de la reprise dans l’Éducation nationale, la réouverture des écoles de musique pourrait s’avérer complexe. S’il faut que tout le monde porte un masque, difficile d’imaginer des cours de trompette… Va aussi se poser la question de l’approvisionnement. Soit 350 agents, un masque par personne par demi-journée, cinq jours par semaine : il nous faudra 3 500 masques par semaine, 15000 par mois, sans compter des réserves supplémentaires pour les visiteurs… Avec livraison au plus tard la première semaine de mai pour une distribution le jeudi 7 mai afin que chacun soit équipé le jour J.

Quoi qu’il en soit, si on réfléchit à une reprise collective le 11 mai, les difficultés envisagées pour accueillir à cette date tous les enfants scolarisés ou en crèche aboutiront probablement un résultat plus nuancé. Le télétravail a encore de beaux jours devant lui…

Le directeur général des services impose une présence de 50 % de l’encadrement la semaine précédant le 11 mai. Il s’agit bien sûr de remobiliser l’ensemble des responsables de service et de permettre de relayer les consignes auprès de tous les agents. Certains font remonter des difficultés pour travailler en présentiel alors que le conjoint travaille et qu’il faut s’occuper des enfants. Impossible de recourir aux grands-parents, difficile de trouver une baby-sitter. D’autant plus complexe lorsque le conjoint est commerçant à son compte…

Une ordonnance publiée le 16 mars permet aux employeurs publics – hors hôpitaux – d’imposer la prise de congés, dans un souci de solidarité avec le secteur privé et pour favoriser la reprise de l’activité après le confinement (c’est en tout cas ce qui est écrit dans le rapport du gouvernement accompagnant le texte paru au Journal officiel). Une obligation de dix jours pour les fonctionnaires d’État et seulement une possibilité pour les collectivités locales, avec un plafond de dix jours en RTT ou congés. Nous devrons finalement poser quatre jours de congés avant le 11 mai et le pont de l’Ascension sera supprimé. Par ailleurs, aucun congé ne sera autorisé du 11 au 30 mai. Depuis le 1er avril, les RTT ont été suspendues. Il me semble que l’effort consenti reste mince en comparaison des mesures de chômage partiel subies par les salariés du secteur privé.

J’ai eu une conversation un peu vive avec une collègue, qui insistait sur le fait que la reprise « ne pouvait pas se faire n’importe comment ». Sous-entendu, au vu du ton employé, qu’elle juge notre employeur incapable d’une organisation satisfaisante, au même titre que la conduite globale de cette crise par le président de la République et le gouvernement. Preuve ultime ce jour-là de la nullité des autorités françaises : les Allemands. J’avoue que je ne sais pas exactement comment ils ont procédé et où ils en sont… Et que je te rajoute le mensonge initial sur les masques !

Pour moi la fixation d’une échéance précise permet à chacun de construire le chemin vers le retour à un début de vie sociale. Je ne m’attendais pas à un discours détaillé de la méthode pour y parvenir, sur le modèle des discours-fleuves des dirigeants sud-américains. C’est une décision politique forte, par définition un choix. Qui implique le renoncement à d’autres alternatives comme le déconfinement le 2 mai ou le report sine die. L’écoute des uns plutôt que des autres.

Je crois en la capacité de chacun à s’adapter à la situation. Nous sommes quelque part dans l’obligation de faire confiance à l’autre, son voisin, collègue, commerçant, patron, et même le président. À tous ceux qui prônent la bienveillance, le yoga, la méditation et le tofu, c’est le moment ! À l’inverse, persévérer dans cet état d’esprit, que j’assimile au complotisme, ne peut être que néfaste pour soi. Les mauvaises pensées viennent forcément à nous en ce moment, pas la peine d’en fabriquer de supplémentaires…

Je n’aurai pas convaincu ma collègue, car sa posture relève d’une défiance envers l’autorité plus profonde, qu’il s’agisse de son employeur ou des pouvoirs publics dans leur ensemble. En miroir, peut-être, une forme de déception sur ce que nous apporte cette autorité. Mais dans ce débat, demeure la question de ce qu’apporte chacun au « vivre ensemble ». C’est la logique du contrat social et, d’une certaine manière, celle des droits et obligations du fonctionnaire. Quoi qu’il en soit, demain existera, comme dit mon grand-père quand ça va mal : « demain il fera jour ». On se quitte sans animosité, voire avec un léger sourire grâce aux chocolats que j’avais prévu de déposer sur les bureaux de tous mes collègues. On ne sait pas quand on pourra en profiter, mais pas de doute, ça fera plaisir.

Sébastien, responsable du service des ressources humaines dans une communauté d’agglomération des Hauts de France

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