Dire le travail en temps de confinement/Employés municipaux dans la bourrasque du confinement

Employés municipaux dans la bourrasque du confinement – épisode 2

Fin de la troisième semaine de confinement

Nous nous étions quittés pleins d’espoir, optimistes quant à nos capacités à s’adapter, à continuer de faire tourner la roue autrement. Se réapproprier les valeurs de Marie-Antoinette version confinement : il n’y a plus de plain, alors mangez des brioches ! Vous ne pouvez plus aller acheter du pain : faites en vous-mêmes, et des brioches aussi ! Vous ne pouvez plus travailler en proximité : pas de souci, vous allez garder vos charentaises et nous continuerons d’accomplir nos missions…

Concrètement, après deux semaines à la maison, certains commencent à proposer des projets. Ceux qu’on n’a jamais le temps de faire d’ordinaire : et c’est parti pour un inventaire des sentiers de randonnée de la communauté d’agglomération ! Risque de travail isolé, à crapahuter sur les chemins ? J’y adjoins (à plus d’un mètre !) un collègue des espaces verts. Un paquet de gants et du gel hydro, on est bons ? C’est là que reprend le fameux débat sur le niveau de la consigne de l’employeur et de la définition d’une activité essentielle qui devra être maintenue. Sur le plan légal, on reprend le décret qui a instauré le confinement et qui, grosso merdo, interdit tout, y compris sur le plan professionnel, sauf ce qui ne peut pas être différé. En clair, pour éviter une infection supplémentaire, il faut bien aller chez chaque habitant une fois par semaine pour ramasser ses poubelles. Alors en l’occurrence, on se demande si vérifier qu’on ne se paume pas en forêt est vraiment du même degré de nécessité… Et puis il y a une question d’ordre quasiment moral, même si elle est à mon sens directement rattachée à la première. Quid si un de nos deux randonneurs a un accident de voiture sur le trajet ? Se blesse en trébuchant sur une pomme de pin ? On impose aux gens de rester chez eux pour que le secteur médical dans son ensemble parvienne à faire face à l’épidémie, et on créerait nous-mêmes comme des grands un risque supplémentaire ? En prévention des risques, on rappelle toujours que le meilleur principe, le premier, c’est d’éviter le risque. Bref, il n’y aura finalement pas d’inventaire des sentiers de randonnée tout de suite. Dommage, avec une GoPro, on aurait pu partir en balade tous ensemble et rêver…

Du même tonneau, mais cette fois sur proposition de l’encadrement : donner des chantiers de maintenance pour que les agents restent en forme. Parce que selon notre ingénieur chevronné et néanmoins fin manager ça ne fait pas de doute que ce petit monde va en profiter pour faire du gras, se vautrer dans le canapé à coups de chips et de bière et tutti quanti ! Il n’a pas tort le bougre, je fais pareil chaque soir… Après ma journée de boulot, ça participe un peu à penser à autre chose. Et notre visionnaire de poursuivre : après le confinement et cette période d’oisiveté caractérisée, que va-t-il se passer pour ces corps empâtés et endormis ? Des blessures pardi ! Des accidents de travail aux frais de l’employeur. On va donc te repeindre les bureaux, changer les luminaires : ça fourmille d’idées ! Risque zéro garanti : livraison du matériel par drive qui exclut tout contact, véhicule individuel, roulements, demi-journées… Tout est calé, tellement ingénieux. Juste un petit détail : les agents… Ils en ont discuté entre eux et ils sont d’accord : ils n’iront pas. Tout le monde a un proche qualifié de « vulnérable » : un enfant en bas âge, une épouse souffrante, un parent âgé qu’il faut continuer d’aider, même à distance. Les agents aussi savent se montrer ingénieux pour défendre leur position. Ils établissent un inventaire long comme la liste de leurs outils des mesures demandées pour assurer leur sécurité. La Nasa n’en demande certainement pas tant. Pire, ils rappellent sournoisement que le délégué syndical leur a dit de ne pas y aller… Penaud, on abandonne. Cette fichue mentalité de fonctionnaire… On maudit le frondeur, un habitué, qui a emporté malgré eux ses autres collègues. On ne se pose pas la question du sens de ce « projet », démarche pourtant hors sujet dans le contexte de crise sanitaire dans lequel nous nous trouvons, où ce qui n’est pas indispensable devient inutile voire dangereux quand il s’agit une activité à caractère physique. Toute cette semaine oscillera sur les deux versants de la balance : continuité du service public d’un côté, obligation de protection due par l’employeur de l’autre. Dans cet exemple ce qui me semble le plus dangereux c’est le risque de se « couper » des agents. En cascade de ne pas pouvoir compte sur eux lorsqu’une mission véritablement utile se présentera.

À part ça qu’est-ce qu’il en pense, notre employeur, de la mobilisation des agents en télétravail ? Malgré l’absence d’anticipation, le manque de matériels, l’utilisation du PC personnel, l’utilisation partagée avec le conjoint ou les enfants, la garde des schtroumpfs… Eh bien ça bosse quand même ! On paye en continu les renforts, on fait des contrats, les factures sont traitées. On s’organise petit à petit, on fait des emplois du temps, on va même jusqu’à organiser des réunions en vidéoconférence en interne ! Les RH 2.0 si on me l’avait dit je n’y aurais pas cru !

Face à cette dynamique indiscutable, à minima pour les services « critiques » — supports, collecte, tri, fourrière —, le directeur général n’est pas convaincu qu’il faille continuer à donner des titres restaurants pour les agents en télétravail. Parce que chez eux, clairement, ils n’en foutent pas une, à se vautrer sur leur canapé avec bières et chips devant Netflix. Pour 2 €40 par jour on va donc dire aux agents qu’ils ne travaillent pas ! Rideau, merci, bonsoir, on se rappelle à la fin du confinement pour se caler une réunion de reprise lundi 10 h ?

À la fin de la semaine, le projet de plan de continuité des activités est rédigé : une colonne vertébrale reprenant le déroulé chronologique et devant être complété par les mesures particulières mises en place dans chaque secteur. Notre directeur général des services le refusera au motif qu’il ne doit pas aborder les mesures de prévention mises en place pour le personnel, mais exclusivement les choix faits pour le service public. En somme, un document de communication externe pour l’exécutif, surtout pas un outil de gestion de crise porté par l’employeur.

Cette semaine, une PME hébergée dans une pépinière d’entreprise a trouvé le moyen de nous fournir des masques à destination de nos agents de collecte. Pas des chirurgicaux ou des FFP2, seulement un modèle avec un filtre à nettoyer chaque jour. Manquent plus que les élastiques… Vendredi, le responsable du secteur propreté urbaine a renvoyé un agent chez lui en raison de ses symptômes. Quinze jours de « quarantaine ». En espérant que les contacts aient été évités au mieux les jours précédents, pendant sa période d’incubation.

Sébastien, responsable du service des ressources humaines dans une communauté d’agglomération des Hauts de France

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