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Des contrats aidés, un travail à part entière

Mettant en avant des arguments budgétaires, le gouvernement a annoncé de fortes baisses de financement pour le dispositif des contrats aidés. Derrière les questions financières, il y a des personnes qui travaillent, qui s’engagent dans des activités utiles aux autres. À l’occasion d’une manifestation contestant la décision du gouvernement, nous en avons rencontré deux salariées d’associations bénéficiaires de ce dispositif, qui nous ont dit leur travail : Jeanne Beaucé, de l’association Robins des villes, et Salomé Delmotte, de l’association Ethnologues en herbe.

J’interviens en ce moment à Bagneux sur l’aménagement d’une cour d’école. Je pars des représentations des enfants, de celle du directeur, de tous les acteurs concernés. Avec eux, je discute des usages de l’espace. Je commence par des ateliers avec les enfants pour réaliser le diagnostic de l’espace. On passe par une phase utopique, pour ouvrir les possibles, avant de mesurer ensuite les contraintes du projet. On étudie des plans d’architecte, pour visualiser les idées des uns et des autres. Je sais qu’il y aura forcément des conflits, entre ce que veulent les enfants, les enseignants, les animateurs du centre de loisirs, la mairie, l’administration. Je ne suis pas neutre : je sais aussi que la parole des enfants sera particulièrement difficile à faire entendre, alors j’essaie de faire en sorte qu’elle soit prise au sérieux. Je recours à des dispositifs éprouvés de l’éducation populaire pour aboutir à des décisions collectives qui ne soient pas la victoire des uns sur les autres, pas non plus des compromis boiteux, mais qui contribuent à un espace vraiment partagé. Pour les cours d’école, ça marche plutôt bien. Quand on fait le bilan, on constate qu’il y a moins d’accidents, moins de conflits d’usage. On arrive par exemple ce que les plus jeunes ou les filles, souvent relégués dans les petits espaces, aient davantage leur place.

L’association dans laquelle je travaille, Robins des villes, essaie donc de jouer un rôle d’intermédiaire sur des questions d’aménagement urbain. Côté municipalités, nous relions les services de l’éducation, des espaces verts, de l’urbanisme. Côtés population, nous animons des espaces d’université populaire à la ville, des lieux d’échange de savoir et de savoir-faire. Notre conviction est que l’espace public est un sujet d’actualité, et que les associations contribuent à construire des réponses alternatives. La place des femmes dans l’espace public, ce n’est pas du bonus. Une ville plus accueillante aux enfants, ce n’est pas du bonus. Ce sont des sujets sur lesquels les services municipaux ne sont pas très à l’aise, et les habitants ne sont pas très habitués à ce qu’on prenne en compte leur parole. Peu de gens dans les mairies sont capables ou ont le temps d’animer des ateliers de vingt-cinq personnes, pour recueillir les différents points de vue, organiser des échanges. Nous avons les outils d’éducation populaire pour cela.

Nous participons souvent à des projets sur la création de micro-espaces extérieurs, par exemple à partir de friches urbaines, ou en ce moment pour impliquer les locataires dans l’aménagement d’espaces collectifs de logements sociaux à Paris. Parfois, nous parvenons à créer des lieux comme des jardins collectifs gérés par les habitants eux-mêmes. Mais d’autres fois, c’est un échec, quand la parole des habitants ne correspond pas aux envies des politiques. Pour nous, ça peut être difficile, nous sommes frustrés parce qu’on nous renvoie les contraintes, les budgets insuffisants, parce que nous subissons les aléas des changements politiques. Mais les personnes qui s’y sont impliquées sont souvent moins pessimistes que nous. Elles disent apprécier le collectif qui s’est créé, et la mobilisation des habitants ne retombe jamais complètement.

En ce moment, concrètement, alors que nous sommes quatre contrats aidés sur les neuf salariés de l’association, l’arrêt de ce dispositif met en péril la structure. Chacun nous renvoie pourtant tout l’intérêt d’avoir des structures intermédiaires comme nous entre les habitants et les services municipaux, encore faut-il que nous ayons les moyens de travailler !

Jeanne Beaucé
Propos recueillis et mis en récit par Patrice Bride


J’anime des ateliers d’ethnologie à l’école, du primaire au lycée. Je transmets aux élèves qui y participent ce que j’ai appris au cours de mes études universitaires, par exemple en matière de méthodologie : comment mener une enquête de terrain ? Comment observer son environnement avec un regard ethnologique ? Comment mener un entretien pour comprendre le point de vue d’une personne ? Je ne suis pas professeure : j’interviens pour une association, Ethnologues en herbe, sur des temps périscolaires. Et l’ethnologie n’est pas une discipline scolaire, avec un programme, des notes. Mais justement, nous proposons aux jeunes de vraies opportunités d’apprendre autrement, de regarder différemment leur environnement.
Nos ateliers s’inscrivent dans une démarche de long terme, avec une quinzaine d’heures sur plusieurs semaines. À la fin, il y a toujours une production : des panneaux exposés dans l’école, des livrets ou des vidéos, ou encore des travaux à rendre dans le cadre des TPE au bac.

C’est une ethnologie du proche, du quartier, sur des objets d’étude comme la ville, les métiers, les patrimoines culturels. À travers ces terrains d’enquête, les élèves questionnent les préjugés, l’égalité entre filles et garçons, les discriminations, la citoyenneté, etc. On part des discussions qu’ils peuvent avoir entre eux tous les jours, mais pour les considérer comme de vrais sujets de réflexion, pour ensuite élaborer un questionnement destiné à l’extérieur, vérifier des hypothèses et valoriser au final ce qu’on a trouvé. L’idée est qu’ils se posent des questions à eux-mêmes pour ensuite poser ces questions à d’autres personnes : interroger la vie ordinaire, les choses banales, les évidences, pour réenchanter un peu le quotidien. Ça fonctionne très facilement avec les plus jeunes. Les adolescents ont déjà plus de mal à se décentrer, à remettre en cause les certitudes, aller vers les autres. Mais c’est d’autant plus utile de les y inciter, de leur donner des outils pour ça. J’ai l’impression de leur apporter une position réflexive sur leur environnement.

C’est un emploi associatif, avec un intitulé pas très précis de « chargée de mission ». Mais ce n’est pas un emploi bonus. Je n’ai pas de doute sur ce que j’apporte aux jeunes que j’encadre dans les ateliers. Je vois qu’ils s’approprient les outils, qu’ils participent activement aux ateliers, qu’ils sont plus autonomes, et qu’ils sont au final fiers de ce que nous avons fait. Ça ne va pas changer leur vie, mais ça peut avoir tout de même un petit effet.

On a l’impression que notre travail est systématiquement dévalorisé : c’est un contrat aidé, qui peut être remis en cause du jour au lendemain par le gouvernement, ce sont des interventions ponctuelles, dans un cadre associatif. Pourtant, c’est à la demande des enseignants, ou en réponse à des appels à projets des mairies ou des départements que l’association intervient. Le ministère de l’Éducation nationale a mis en place des temps périscolaires à l’école primaire : c’est bien qu’on pense utile que les jeunes aient d’autres expériences d’apprentissage que dans le cadre scolaire classique. On ne fait pas appel à moi pour faire acte de présence, ou distraire les élèves. Je leur apporte des savoirs, nous contribuons à leur éducation, et ça me semble bien normal que ce soit pris en charge par la collectivité publique !

Salomé Delmotte
Propos recueillis et mis en récit par Patrice Bride