À propos de Zéro chômeur — Claire Hédon, Didier Goubert, Daniel Le Guillou, Éditions Quart Monde/Éditions de l’Atelier, 2019
Zéro chômeur : une bonne nouvelle pour nous qui aspirons à proposer de « dire le travail »… Au-delà de cette boutade, ce livre est passionnant par ce qu’il nous raconte de la transformation de celles et ceux qui, embauchés dans une « entreprise à but d’emploi », peuvent enfin s’investir dans une tâche socialement utile. Non pas qu’on ne « travaille » pas lorsqu’on chôme, et les auteurs du livre prennent soin de recourir à l’expression « privés d’emploi » plutôt que chômeur. On s’occupe de son logement, de sa famille, on s’implique dans des activités bénévoles. Mais pouvoir travailler dans une activité à l’utilité bien identifiée dans un territoire, que l’on accomplit avec des collègues, qui profite à des usagers, des clients, c’est autre chose : une source de revenus, bien sûr, et c’est essentiel ; mais aussi une position sociale, une visibilité, allons-y, une existence ; et enfin un effet produit sur d’autres, par le service qu’on leur rend. Le livre propose succinctement quelques parcours de personnes embauchées, et retrouvant ainsi un peu plus d’aisance sur le plan financier, un peu plus d’estime d’elles-mêmes sur le plan personnel, mais aussi la fierté d’être utile. On aimerait d’ailleurs en savoir plus sur cette dimension, et moi en particulier : lire des récits des personnes concernées sur ce qu’elles (re)découvrent ainsi du travail. Tout de même : trois pages magnifiques (pages 233 à 235) décrivant les relations entre les salariés des entreprises à but d’emploi montrent à quel point « la présence du plus éloigné de l’emploi peut être un atout pour la dynamique collective ».
Ce livre est également passionnant parce qu’il donne à voir de l’activité de celles et ceux qui portent ce projet « territoire zéro chômeur de longue durée » depuis des années, de façon expérimentale, puis de plus en plus assurée, et à présent dans un cadre législatif. Ils réfutent énergiquement l’idée d’être un dispositif institutionnel de plus de lutte contre le chômage, « procédé technocratique et mécanique qui définit des bénéficiaires ou personnes éligibles, et donc qui exclut ceux qui ne le sont pas » (page 100). Ils ont choisi d’agir à l’échelle d’un territoire, pour que toutes les parties impliquées dans la démarche puissent se rencontrer, trouver leurs marques, se fâcher, se convaincre peu à peu, coopérer au sens le plus fort du terme. C’est particulièrement convaincant dans l’application de la règle de non-concurrence pour les activités des entreprises à but d’emploi, qui ne doivent pas porter préjudice aux autres entreprises du territoire. La mise en œuvre de ce principe n’est pas fixée par une règlementation pointilleuse, mais par des discussions entre acteurs, au cas par cas, plus près des réalités concrètes. Et ça marche !
Ces expérimentations restent aux prises avec les logiques étroites de l’évaluation économique, parce qu’il faut malgré tout rendre des comptes aux bailleurs, à l’État législateur. Il ne suffit manifestement pas de rendre un immense service en permettant à toutes celles et tous ceux qui sont durablement privés d’emploi de mettre leur savoir-faire et leurs compétences au service de besoins de la société non satisfaits, et par là même un immense service à leur territoire. Il faut aussi démontrer, sinon que ça rapporte, du moins que cela ne coute pas, ou pas trop. On peut trouver que les grandes considérations économiques prennent beaucoup de place dans le livre, et même toute la première partie : disons que celle-ci met en évidence l’originalité de ce qui suit. Une découverte qu’il est important de crier sur les toits : travailler est utile pour soi et pour ceux pour qui on travaille, indépendamment des questions de rentabilité pécuniaire. Laissons la parole à une témoin du livre (page 107) : « Moi, ce que je ne veux pas entendre, c’est un pourcentage. C’est tous les chômeurs qui doivent avoir du travail, pas qu’un pourcentage. Il ne faut pas qu’on reste dans un cercle vicieux, comme ça a été le cas jusqu’à présent. Du travail, il y en a pour tous les chômeurs. »
Patrice Bride