Le travail que l’on voulait faire avant de commencer à travailler, celui que l’on fait, celui que l’on voudrait faire avant d’arrêter de travailler : telle était la première proposition d’écriture pour ouvrir cette série de trois ateliers. Ce sera un samedi par mois, à la bibliothèque Marguerite Audoux, dans le quartier du Marais à Paris. C’était une première façon de se présenter, de faire connaissance. C’était aussi une façon d’entendre qu’au-delà du métier que l’on exerce, on a toujours plus ou moins à l’esprit d’autres activités, de l’ordre du désir ou du vœu pieux, du possible ou du fantasme, mais qui sont bien là, et qui aident à tenir.
Nous avons poursuivi cet atelier par des visites guidées de lieux de travail. J’avais voulu ouvrir le champ de cette proposition d’écriture : pas forcément le poste de travail que l’on occupe toute la journée, surtout un lieu auquel on tient, où l’on travaille de façon différente, avec lequel on a des attaches particulières. Ce n’était pas forcément nécessaire : les situations professionnelles des présents, très diverses, nous ont fait découvrir des endroits imprévus, et même improbables. Nous avons découvert un jardin partagé, à l’écart des rues, des terrains de boulistes ayant laissé la place pour quelques cultures urbaines. Nous sommes installés à une petite table d’un bistrot familial, avec des envies d’écriture et de photographie. Nous avons exploré des lieux de travail qui ne nous auraient rien évoqué il y a quelques années : dans un centre social, un « espace public numérique » dans lequel on peut « créer des sites » ; un espace de coworking, indiscutablement un lieu de travail, puisqu’on y vient pour ça, mais pas du tout une entreprise : pas de patron, pas de collègues, et c’est le souci d’avoir une place qui fait arriver tôt le matin. Nous avons partagé les inquiétudes de vignerons face aux attaques virales, confrontés à la nécessité de désinfecter la terre, de planter des ceps susceptibles de tenir les décennies à venir. Nous avons visité un théâtre, à la fois chargé d’histoire, de traces des spectacles du passé, et tourné vers l’avenir, l’accueil du public, la création. Nous avons visité un centre d’accueil pour de jeunes mères en détresse : une bulle dans des parcours de vie cabossés, un cocon pour des vies qui débutent, mais un foyer temporaire, pour parvenir à ce qu’elles « s’en sortent ».
Des lieux divers donc, mais avec des points communs : des lieux que l’on s’approprie, que l’on transforme par son travail ; des lieux de rencontre, où l’on croise des gens venus de toute la terre, au hasard de vies en zigzag. Et un recours fréquent, étonnant vu du centre de Paris, à du vocabulaire de registre agricole : nous avons parlé de pépinières, de jeunes pousses, de jardins, de clos de vignes, de ruches.
Une bibliothèque, dans une salle tranquille, un samedi matin : un bon lieu pour du travail (merci au personnel de la bibliothèque pour son accueil !), des rencontres, au milieu des livres. On s’en est sorti, on y reviendra. Rendez-vous le mois prochain.
Patrice Bride