Dire le travail en temps de confinement

« Rester en contact avec les personnes isolées prime sur tout le reste »

Émilien Roso est maire d’Allemans-du-Dropt, village de 501 habitants dans le Lot-et-Garonne.

– Bonjour monsieur le maire, je viens chercher une attestation de déplacement.

– Oui, vous en voulez combien ? Je vous en donne quatre… Vous savez que vous pouvez les écrire à la main ? Sinon, j’en ai encore… Bonne journée.

Au début du confinement, j’ai décidé de maintenir les horaires habituels d’ouverture de la mairie et d’assurer seul la permanence. Je n’ai pas reçu de consignes claires concernant les services qui devaient rester ouverts ou qui devaient fermer. J’ai estimé qu’il était préférable de renvoyer tous les agents et les secrétaires chez eux pour ne pas leur faire prendre de risques, mais que la mairie devait rester ouverte : nous sommes une instance de premier recours pour les habitants. Certains viennent chercher une attestation pour se déplacer parce qu’ils n’ont pas d’imprimante, d’autres des sacs jaunes pour entreposer les déchets puisque le ramassage du tri sélectif n’est plus assuré. D’autres ont des questions. Hier, j’ai vu une personne que je ne rencontre jamais en temps normal : elle vit un peu recluse. Elle avait reçu des informations contradictoires et j’ai éclairci les choses. Elle m’a dit qu’elle appréciait ce soutien et cette proximité de la mairie. Les personnes qui vivent isolées se tournent vers nous dans le contexte actuel : je crois que nous sommes un service public vraiment indispensable.

Je consacre beaucoup de temps à étudier les nombreuses informations qui me parviennent de la préfecture, du centre de gestion, de l’association des maires du département, etc. En parallèle, je mets en place les mesures qui me permettent d’être informé des situations préoccupantes pour pouvoir intervenir. Sur le groupe Facebook que je viens de créer, j’invite les habitants à faire remonter les informations inquiétantes et je leur communique les mesures gouvernementales, les informations du département, les consignes sanitaires, les informations locales, comme celles qui concernent la collecte des déchets.

Nous avons beaucoup de commerces dans la commune. Je garde contact avec les entreprises pour voir à quel niveau elles sont impactées. Je cherche comment je peux agir. À l’instant, j’envoyais un mail au percepteur de la commune pour voir comment la mairie pouvait intervenir pour aider les entreprises qui font face à des difficultés. Je regarde si nous pourrions appliquer des exonérations de fiscalité économique par exemple. Nous évoluons dans un cadre très contraint, mais la situation est exceptionnelle et je voudrais éviter les fermetures de commerces qui sont essentiels à la vie du village.

Pendant que je gère l’urgence et que je réponds aux sollicitations des habitants, beaucoup de tâches du fonctionnement quotidien ne sont plus assurées. Dans mon gestionnaire de tâches qui me permet de tout planifier, j’ai enlevé tous les drapeaux rouges qui indiquent les urgences courantes pour requalifier certaines de mes tâches. Rester en contact avec les personnes isolées prime sur tout le reste en ce moment. Je suis allé voir une personne âgée que les services sociaux n’arrivaient plus à contacter par téléphone. J’ai vérifié qu’elle allait bien et qu’elle avait suffisamment à manger. Nous sommes attentifs toute l’année au sort des personnes fragiles, mais en ce moment c’est vraiment le point de vigilance primordial. D’ailleurs, j’ai reçu hier une information me rappelant que je devais avoir un registre des personnes fragiles. Je suis en train de m’en occuper, mais ce n’est pas évident : je dois communiquer avec ces personnes, car ce sont elles qui doivent demander à être inscrites sur ce registre.

La gendarmerie m’informe quand elle vient faire des contrôles. Chez nous, le confinement est globalement respecté, les gens se déplacent avec leur attestation. Il y a bien quelques comportements inappropriés, des personnes qui se déplacent plusieurs fois par jour pour faire une course, mais dans l’ensemble les rues sont bien calmes. J’ai porté au pharmacien dans les premiers jours du confinement un carton de masques qu’il nous restait de l’épidémie de grippe H1N1. Pour l’instant, je n’ai pas de cas de Covid-19 déclarés dans la commune. On s’inscrit dans la durée et on ne sait pas de quoi demain sera fait. Nos rues commencent à être sales. Dois-je rappeler certains agents pour qu’ils prennent soin des rues ? Est-il préférable qu’ils restent à la maison ? Dois-je faire nettoyer les espaces verts sachant que les habitants n’ont plus le droit d’y aller ? Je sais que la propreté est un aspect important pour mes concitoyens et j’hésite à rappeler un ou deux agents, mais dans un petit village, il y aura toujours des personnes pour s’arrêter discuter avec un agent. On ne peut pas éviter tous les contacts. J’ai aussi besoin d’une personne pour distribuer des informations dans les boites aux lettres. Ma secrétaire de mairie est en train de s’occuper de l’aspect administratif en télétravail : peut-on employer ponctuellement un agent qui fait l’objet d’un arrêté d’autorisation spéciale d’absence ? Il faut trouver des solutions à une situation inédite.

Émilien Roso, maire d’Allemans-du-Dropt (Lot-et-Garonne)
Propos recueillis et mis en récit par Nathalie Bineau

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