Dire le travail en temps de confinement

Confinée et overbookée : paradoxal ?

Sarah est autrice à Paris. Rien d’incompatible avec un confinement temporaire ?

Au départ, le confinement ne m’a pas du tout inquiétée. J’ai 37 ans, je suis célibataire, sans enfant, et je suis autrice. J’ai l’habitude de me confiner volontairement quand j’estime que le temps est venu de faire avancer mes projets (comprendre : arrêter d’aller boire des godets ou d’assister à des spectacles tous les soirs… oui, je suis Parisienne).

Je suis autrice, donc. J’écris des scénarios. Mais pour le moment je ne vis pas de cette activité. Comme il faut bien payer ses places de spectacle, j’écris des textes de bandes-annonces.

Quand Manu a dit « c’est la guerre, faut rester chez soi », je me suis dit « OK, pas de problème, j’ai l’habitude de jouer aux soldats avec mes stylos. » Je suis intermittente du spectacle et je n’avais que très peu de contrats prévus pour l’écriture des bandes-annonces dans les prochaines semaines. Alors ce confinement, je l’ai vu comme une aubaine, une occasion rêvée de travailler, enfin, sans distraction. Mais voilà que la première semaine est passée, et force est de constater que je n’ai pas écrit un seul mot sur mes projets de scénario. Pas un.

Je me suis lancée dans l’élaboration d’une sorte de journal de bord du confinement, qui n’est pas destiné à être lu. Un comble pour une autrice qui voudrait vivre de sa plume, me direz-vous ? C’est possible, mais je ne suis pas à un paradoxe près. Vous allez voir…

Tous les jours j’écris mon journal de bord, qui ressemble à un journal intime adolescent, le COVID en plus. Après tout, ce n’est pas si grave : je suis autrice, j’écris. Jusque-là, c’est cohérent.

« Si tu veux écrire, il faut lire, me suis-je dit. »

Sauf que j’ai également décidé de profiter de cette période d’enfermement pour me réconcilier avec mon piano. J’en jouais quand j’étais plus jeune, mais lui et moi étions fâchés depuis quelques années. Maintenant que nous sommes tenus de passer toutes nos journées ensemble dans la même pièce, je ne me voyais pas continuer à le bouder, c’eut été grossier. Là encore, je me suis dit que ce n’était pas si grave : jouer de la musique, c’est s’adonner à une activité créative, c’est bon pour le cerveau. Ça m’aidera pour écrire.

Je me suis également rendu compte que dernièrement, je n’avais pas assez lu : j’ai donc entrepris de dépoussiérer la pile de livres qui commençait à vaciller dangereusement sur ma table de nuit. Une fois encore, rien d’inquiétant. « Si tu veux écrire, il faut lire. », me suis-je dit.

Ensuite, la réalité du confinement m’a rattrapée : j’ai pris conscience que, pour le bienêtre de mon cerveau, il était nécessaire que je m’active et que je prenne soin de mon corps. Je me suis donc fait un petit planning : cours de yoga sur internet, corde à sauter dans la cour de mon immeuble, ménage en musique. Une nouvelle fois, tout cela m’a semblé essentiel pour la pérennité de mon activité.

Et puis, le mal qui guette les auteurs, c’est bien connu, c’est l’isolement. Alors surtout, ne pas se déconnecter. Prendre des nouvelles de ses proches, répondre à tous les messages, manger avec son coloc, faire des « apéros visio » avec ses amis, pour garder le lien.

Et enfin, dormir. Bien dormir, huit heures par nuit, pour être en pleine forme, pour écrire…

Au final, j’ai tout fait pour me mettre dans de bonnes conditions pour mener à bien mes projets. J’ai juste oublié un petit détail : me dégager des plages horaires pour travailler sur mes scénarios… Et voilà que je prends du temps pour rédiger un texte dans lequel je raconte que je manque de temps. Quand je vous disais que je n’étais pas à court de paradoxes !

« Dans mon cerveau, ça travaille en back-office »

Certains pourraient penser que tout ceci est un échec. Et pourtant, ce n’est pas du tout ainsi que je le vis. D’une part, j’ai réussi l’exploit d’être débordée en période de confinement, et il me semble que ce n’est pas donné à tout le monde, surtout quand on n’a pas d’enfant. D’autre part, je regarde très peu de séries : ça aussi, c’est une petite victoire. Quand on développe des projets de série, on a la fâcheuse tendance à se convaincre qu’en bingeant, quelque part, on bosse… Mais cette fois, je me suis interdit de céder à la tentation Netflix et autres plateformes de diffusion, et je crois que je mérite une médaille rien que pour ça.

Pour finir, même si ce confinement me met face à mes contradictions, il n’est pas vain. Je sais qu’en dépit de tout ce que je viens de raconter, dans mon cerveau, ça travaille en back-office. Je n’ai pas l’intention d’écrire une histoire sur un virus qui ravage tout sur son passage et qui chamboule le monde entier, loin de là. En revanche, je vais me servir de chacun des petits détails de tout ce que je vis au quotidien pour enrichir mes personnages de fiction. Car il n’y a rien de plus humain qu’une personne, et a fortiori un personnage, rempli de paradoxes et de contradictions. Voilà ce que m’a appris ma première semaine de confinement. Et si ça ne m’a pas permis d’avancer formellement dans l’écriture de mes scénarios, ça m’a quand même amenée à me regarder en face, et à accepter pleinement ce que je suis. Et c’est déjà pas mal.

Sarah, autrice

Licence Creative Commons
Ce texte est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.