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Quand ce n’est pas fait, ça se voit !

À propos de Les Invisibles, documentaire de Clarisse Feletin (France, 2021), 52 min.

C’est un beau projet, qui nous intéresse à Dire Le Travail, que de rendre visibles celles et ceux qui s’activent à nettoyer, en l’occurrence les hôtels, les trains, les hôpitaux. Les clients, les voyageurs, les malades les voient peu, parce qu’elles et ils balaient, rangent et dépoussièrent quand les chambres ou les wagons sont vides. Par contre, on voit bien s’ils ne sont pas passés par là, que les papiers trainent, que les vitres sont sales, les poubelles remplies… C’est donc avec intérêt que nous avons assisté à une projection organisée par l’association Santé Charonne à Paris le 3 février. Si le focus avant tout syndical du film et du débat qui a suivi n’est pas le nôtre, il pose fortement la question de la place de ces travailleur·es, de ce travail dans notre société.

Ce documentaire va à leur rencontre, montre des visages, des corps, fait entendre des paroles. Par contre, on voit peu les lieux de travail, ou alors leur périphérie. Les scènes se déroulent sur le trottoir devant les hôtels, au mieux dans le hall lorsque les grévistes ont réussi à y pénétrer, dans des lieux publics comme des gares, les prudhommes de Paris, dans des locaux syndicaux, ou encore au domicile des narrateurs. Seules quelques scènes fugaces font apercevoir les mains d’une personne en train de faire un lit dans une chambre, ou de nettoyer une lunette de w.c. On mesure bien une des causes de cette invisibilité : l’impossibilité, en tout cas la grande difficulté, d’accéder au lieu de travail pour le documenter, de filmer effectivement des personnes en activité.

C’est bien aussi la problématique centre / périphérie qui est pertinente pour saisir le travail de ces personnes, parce qu’elles franchissent aller-retour le périphérique parisien pour rejoindre leur lieu de travail depuis leur lieu d’habitation, comme elles ont franchi les mers pour venir de territoires ayant, peut-on supposer, un rapport historique colonial à la métropole.

Périphérie encore pour ce qui est du statut de la plupart des narrateurs : des personnes qui ne sont plus dans leur entreprise, parce que licenciées, ou bien, si elles y sont encore, protégées par un mandat syndical, en tout cas des personnes qui se sont singularisées en se faisant porte-paroles de leurs collègues, en dénonçant haut et fort des injustices, en les portant sur la place publique ou devant les tribunaux.

Le film documente donc de façon forte et critique le cadre juridique et économique (la sous-traitance), les conditions d’organisation (le management disciplinaire, voire harceleur) dans lequel ces personnes travaillent, et c’est indispensable.

Resterait à porter la caméra, ou bien la plume, au centre de cette affaire : comment montrer le travail, c’est-à-dire l’activité effective d’entretien et nettoyage, tel qu’elle est indispensable au bon fonctionnement des entreprises (voire salutaire dans le cas de l’hôpital) ? Comment montrer les corps au travail, dans la tension entre l’exigence de qualité et celle de rapidité, le souci du beau geste, efficace, habile ? Comment montrer l’engagement de ces personnes dans une activité à l’image dégradée, mais pourtant précieuse, voire valorisante ? C’est quand même mieux quand c’est propre ! On peut se dire que ce serait aussi une bonne façon de reconnaitre et promouvoir ces travailleuses et travailleurs : rendre visible leur travail.

Une réflexion sur “Quand ce n’est pas fait, ça se voit !

  1. Merci pour ce commentaire positif et encourageant sur la projection des Invisibles organisée par l’Association Santé Charonne. Pour votre information, un premier documentaire de 30 mn Les Invisibles (version 1) de 2019 (alors que le documentaire de 50mn projeté à l’Association Santé Charonne est la version 2 de 2021) est librement accessible par youtube sur internet. Il s’agit de 2 films différents même si la thématique est la même

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