Cécile, professeure d’EPS en collège, nous avait raconté son travail lors du premier confinement, au printemps dernier. Un an plus tard, l’école reste fortement secouée par les conséquences de l’épidémie. Comment faire de l’éducation physique et sportive en temps de contraintes sanitaires ?
« Mais pourquoi vous voulez inventer des choses, on a qu’à faire une balle aux prisonniers ! »
Bien que n’étant pas persuadée que ce jeu soit plus à même d’assurer le respect des règles sanitaires que tout autre jeu collectif, je cède aux arguments de la limitation des deux espaces et de la distanciation à priori possible pour ce jeu. Pas persuadée non plus du pas en avant moteur ou cognitif que mes élèves vont pouvoir faire sur ces temps d’activité… Je remballe cependant mes propositions de jeux athlétiques, de randonnées, de discours théoriques ou de « renforcement musculaire ».
Le message est unanime et répété : « Ce que l’on préfère, c’est la balle aux prisonniers ! »
Moi qui, depuis des semaines de confinement, déconfinement, indications dehors, dedans, avec matériel, ou sans, peine à mettre cette classe en activité physique. Moi qui, depuis des semaines, patine face à ces propositions alternatives puisées sur internet, toutes plus élaborées et ludiques les unes que les autres. Moi qui, depuis des semaines, vois les élèves se diviser, pour beaucoup trainer la patte, à chaque proposition. D’accord, cela semble valoir le coup d’essayer…
Force est de constater qu’à chaque « partie », toute cette classe de 3e se met en activité. Chaque fois, des rires, des cris, des énervements, des encouragements. Ils sont dedans… et peuvent même finir en teeshirt !
Après quelques réticences et réelles interrogations à voir ce jeu s’installer dans nombre de mes séances, après avoir cogité sur mon égo en mal d’existence professionnelle, après m’être sentie déstabilisée par le regard de mes collègues assistant depuis leur fenêtre à ces moments de « gigotisme » que je laissais s’instaurer, je me suis mise à observer les élèves.
Ils sont tous ensemble dans un espace assez limité. Chacun peut à tout moment être concerné, balle ou sans balle, prisonnier ou pas. Les règles sont simples. L’engagement physique est présent, mais modéré. Les rôles sont rapidement réversibles. Le dialogue peut être constant avec tout le monde. Personne n’est exclu du jeu. Des alliances sont possibles et non prédéterminées. Il n’y a pas besoin d’arbitre. Le fait d’être « touché » peut être attribué à un coup de « pas de chance », un éclat de rire, une belle action de l’adversaire. Dans tous les cas, les conséquences sont passagères. Les occasions d’essayer (ici de tirer) sont nombreuses (on a ajouté plusieurs balles). Il est en outre possible d’être passif, mais présent, pas trop loin, écoutant et regardant les autres au plus près de l’action. L’on ne « réussit » pas moins à ne pas prendre de risque. Chacun peut en outre faire le choix de garder le masque, de le retirer, d’alterner. Chacun peut pour un temps respirer.
Un raccourci sur les effets du confinement ? Peut-être. Mais c’est cette lecture qui m’est venue. J’observais ce besoin de sécurisation dans un jeu connu, ce besoin de plaisir et de futilité. J’observais cette envie d’être tous ensemble à faire les mêmes choses, et d’en redemander. À moi d’accueillir, et d’être à l’affut de l’éventuelle lassitude, des éventuelles baisses d’énergie, qui appelleront alors d’autres propositions.
Un raccourci sur les effets du confinement, peut-être. Viendra le temps des prises de risque et du changement. Viendront également assez vite les échéances et jugements de valeur sur leur vie de collégien. Pour le moment, prisonniers dans leur camp : au moins en jouer…
Cécile, professeure d’EPS
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