Dire le travail en temps de confinement

Tribulations d’élèves parmi les devoirs à faire

Cécile est professeure d’EPS en collège dans la région nantaise. Pendant le confinement, elle intervient en particulier pour aider les élèves à faire leurs devoirs, plus généralement pour maintenir le lien.

15 mai

Classe virtuelle « devoirs faits » avec une classe de 4e… Seules Saloua et Salma, deux sœurs jumelles, sont connectées.

J’affiche le plan de travail en partage. Essaie d’interroger sur ce qui coince. Gros blanc. Je me sens bien seule derrière mon écran.

La semaine passée, on avait repris les sciences physiques. Une heure sur des notions de vitesse, de calculs de conversion de km/h en m/s… J’avais improvisé des schémas, des histoires pour tenter d’appréhender la règle de 3.

Cette semaine, elles ne sont que toutes les deux… Les autres ont oublié, n’ont pas pu se connecter. Pour les sœurs, pas simples de se lancer. Mes questions restent sans réponse.

Je bifurque. Derrière l’écran… Deux mois de confinement bien réel

« – Oui, c’est long… ».

Ce temps-là, elles semblent partantes pour le raconter.

— Notre journée ? Bah, comme y a ramadan… On se lève vers 10 h-11 h le matin. Après, on travaille trois heures environ. Les devoirs, on y arrive quand même. Il n’y a qu’une matière où l’on ne comprend rien. Quand on ouvre le lien, il y a comme une image avec plein d’autres images dessus. Mais on ne sait pas sur quoi cliquer. Et quand on clique, ça ouvre encore d’autres consignes. Ça fait trop. On a refermé.

Parfois on fait un peu de muscu. On avait bien commencé au début, mais là, on fait moins… On suit des vidéos sur YouTube.

— Les propositions du collège en EPS ?

— Non, on n’a pas trop regardé… Puis après, on lit… On a 100 mangas à la maison, mais on a tout lu… Du coup, on lit des Manga sur le téléphone, et on va sur Webtoons. On fait des dessins aussi. OK, si vous voulez, on vous en enverra.

Le soir, on aide à faire à manger. Au début on aimait bien, mais là, on en a un peu marre.

Qu’est-ce qu’on mange ? Bah… des bricks, du Hriha, c’est de la soupe… et plein d’autres choses. Ce soir par exemple, on dine à 21 h 37. Avant, on ne doit pas boire ni manger. Après, on se relève à 4 h pour manger, et on se recouche à 5 h. Même quand il y a école, on fait ça. Oui, on est un peu fatiguées.

— Et depuis le 11, vous avez pu prendre l’air ?

— Là, bah non, on n’est pas trop sorti… Juste tous les quinze jours, on a pu aller voir notre père. Il est à Rennes avec notre petit frère et notre petite sœur d’un an. Ils nous manquent.

Sinon on n’a pas trop envie de sortir… on dirait qu’à Nantes, ils ne respectent pas trop les consignes… On a vu des vidéos avec plein de monde qui se faisait la bise.

Les copines… Ça nous manque aussi, mais on n’arrivera pas à garder les distances si on se voit.

— Et faire une activité toutes les deux, du badminton comme à l’Association Sportive ?

— Ah ouais ! J’aimerais bien faire du bad ! C’est vrai, même sans raquette, c’est possible ? On va essayer avec la boulette de papier.

Sinon, on voulait vous demander, on ne comprend pas pourquoi ce sont les 6e et 5e qui reprennent… C’est bête ! Y’en qu’aurait envie chez les grands !

20 mai

Ou comment gérer les obstacles… à distance

Lina s’est imposé de travailler chaque matin. Elle veut s’y tenir, pour avoir ses après-midis de libres. Là voilà donc attablée. C’est une « bonne élève ». Habituée à participer en classe, à travailler à la maison. Elle est partie confiante. Les plans de travail arrivent tous les lundis, et elle s’est même fait un planning de la semaine pour répartir les matières.

Décoder les consignes sur l’écran, c’est quand même assez différent. Elle s’aperçoit qu’elle bloque assez souvent… Elle fait alors ce qu’on lui a dit. Elle envoie sa question au professeur via e-lyco ou mail. C’est à ce moment que les ennuis commencent… Car la réponse n’arrive pas dans les vingt secondes comme en classe. Elle sait bien que les profs ne peuvent pas être collés à leur ordinateur toute la journée, et répondre en direct. Alors elle attend. Parfois une heure, parfois quelques jours pour obtenir le petit coup de pouce.

Tout se complique. Bloquée face à une question en maths. Lina change de matière et dérive de son programme. La voilà partie sur l’histoire. C’est alors que la réponse arrive en maths. Elle reprend son exercice et laisse le document d’histoire en suspens. À ce rythme, elle se retrouve à devoir bosser l’après-midi pour tenter de boucler son programme de la journée.

Elle a bien essayé de demander à la maison, mais personne n’est disponible. Elle sait qu’il y a des classes virtuelles, mais elle n’aime pas parler derrière l’écran. Et puis, ça ne règlera pas ses blocages quotidiens.

Lina a pu raconter tout cela au téléphone lorsque sa prof a appelé.

Celle-ci a pu relater ensuite ce souci à ses collègues. L’équipe, déjà bien organisée, s’est emparée du problème. Un jeune prof de techno qui œuvre beaucoup à coordonner les diverses formes de propositions d’aide a cogité. Il se dit que c’est un problème de temporalité, et que nombre d’élèves doivent être concernés : tous ceux qui bossent en solo, et qui essaient de s’accrocher. Le travail par pôle ayant déjà été amorcé pour le retour en présentiel, pourquoi ne pas en profiter ?

Quelques jours plus tard… La proposition a germé. Lina pourra poser sa question sur le pôle « sciences 3e ». Le premier prof (volontaire) du pôle, passant par là, pourra répondre à l’élève, et cette réponse sera accessible à tous les 3e. Une sorte de forum est amorcé…

Reste le temps, la disponibilité. Notre collègue de techno s’était peut-être imposé un programme, et pensait ne bosser pour une fois, que la matinée… Mais le voilà encore mobilisé, entre les appels d’élèves pour obstacle à apprendre, et les appels de collègues, pour obstacle à enseigner…

Cécile, professeure d’EPS

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