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L’éleveur et ses filles

Petit paysan, sorti le 30 aout dernier, n’est pas seulement un film dramatique à suspens. C’est aussi une manière de « dire » sur grand écran le travail d’un éleveur laitier. Dans la salle de traite, à l’ancienne, il enchaine les gestes ; il ne manque au spectateur que l’odeur des « godelles », ainsi qu’on désigne les vaches en patois vosgien. Ce film montre le travail au quotidien, autour d’une histoire d’amour entre un homme et ses animaux. Un lien si fort qu’il ne parvient pas à dire « femelle » pour une génisse. Pour lui, « c’est une fille ».

Affiche de « Petit paysan » d’Hubert Charuel. © Domino films, France 2 cinéma

Pas de grands discours, pas de prise de parti explicite : un film qui se contente de donner à voir. Ainsi, il ne se revendique ni pour ni contre le robot de traite ; il en montre les effets sur le travail de l’éleveur et ses rapports aux animaux. Un autre éleveur, qui en est équipé, estime y gagner de la liberté, tout en restant accroché à son terminal portable quand il s’éloigne de sa ferme. Une de ses vaches rechigne pour entrer dans une étable. Aurait-elle perdu le contact avec l’humain ? Il le dit lui-même : « Elles ne s’habituent pas toutes au robot. »

Le film dit aussi la peur des maladies, le rôle du vétérinaire pour rassurer l’éleveur et pas seulement soigner ses bêtes, les choix à faire entre son travail, il ne sait rien faire d’autre, et sa responsabilité sanitaire et sociale face à une épizootie.

Ce travail occupe toute la vie du « petit paysan », jusque dans le sommeil. Ses loisirs du soir : surfer sur YouTube, en regardant… des histoires de vaches, interphone branché sur l’étable et prêt à bondir au moindre bruit suspect.

Vous pensiez que l’évaluation de la productivité, le classement des meilleurs, c’est l’univers de l’usine ou du centre d’appel ? Pas seulement. L’éleveur reçoit les résultats de tous ses collègues. On les commente en famille. Et quelle fierté quand il est « premier en qualité » !

Manque-t-il à ce film une dimension plus politique, comme le souligne Jean-Marie Bergère dans sa critique publiée sur le site de Métis ? Quand un agriculteur se suicide tous les trois jours en France, quand les Assises de l’alimentation semblent vouloir accoucher d’une souris, c’est probable. Le cinéaste nous propose une approche individuelle, voire individualiste, des situations que traverse le « petit paysan ». Il nous donne aussi les réponses à des questions que nous aurions posées à cet agriculteur si Dire Le Travail était allé le rencontrer : comment faire sa place quand on reprend l’exploitation de ses parents ? Quels sont les effets du numérique sur le travail ? Et ceux de la traçabilité et du marquage des bêtes ? Au final, qu’est-ce qu’un bon travail ?

Ce film est aussi un travail, celui du réalisateur et de son équipe. Fils unique d’éleveurs laitiers, il en connait l’activité dans toutes ses dimensions. Enfant, il a vécu la crise de la « vache folle ». Avec ses parents, qui jouent dans le film, ils se sont un peu racontés à la radio. Un film qui sonne d’autant plus juste.

Christine Depigny-Huet


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