Des récits du travail

Le gendarme : un Zorro ?

Dans une enquête de gendarmerie, il y a l’uniforme, les procédures, les lois, et puis les êtres en chair et en os impliqués dans l’infraction, dans toute leur complexité.

Une enquête, ça commence par un dépôt de plainte. Pour une affaire de carnets de chèques volés, par exemple, je commence les recherches à partir des informations bancaires données par la victime. Je repère les commerçants bénéficiaires, et je vais les voir : ils peuvent me donner des signalements, des éléments d’identification formelle sur la personne qui a émis le chèque, parfois des enregistrements de vidéosurveillance. Quand on a suffisamment d’informations, on interpelle et on procède à l’audition de la personne, avec ou sans régime de garde à vue. Là, j’abats mes cartes une par une pour tenter de la confondre. Si elle ne reconnait pas les faits, on peut procéder à des perquisitions pour prouver la culpabilité. Si elle reconnait être l’auteur des émissions, je contacte le procureur de la république – directeur de la police judiciaire – qui prend alors une décision sur les poursuites. Soit c’est la convocation au tribunal pour qu’il y ait un jugement, soit ce sont des mesures alternatives, comme le remboursement de la victime. Ça se déroule, en fait, comme à la télé, sauf que les victimes, passant de la fiction à la réalité, disent qu’elles ont l’impression de vivre un mauvais rêve.

Le gendarme doit savoir répondre un peu à tout, en usant de sa baguette magique, et toujours dans l’urgence… C’est Police Secours ! Chaque urgence est essentielle pour celui qui la subit, même si elle peut nous apparaitre, à nous, toute relative. Il faut retrouver le propriétaire de la vache qui divague dans la nuit du samedi au dimanche, et puis la remettre dans le pré. Il faut répondre au téléphone pour indiquer le pharmacien de garde. Il y a les accidents de la route, les incendies, les incidents sur la voie publique, et aussi dans la sphère privée : le repas de famille qui tourne au vinaigre… C’est une des scènes les plus violentes auxquelles j’ai assisté : c’était en famille, mais un des convives y avait trouvé la mort. En cette fin d’année, la tendance est aux violences conjugales. Samedi, 22 h, appel : c’est un couple nouvellement arrivé dans la région, qui ne connait personne. Il faut trouver une solution pour qu’ils ne soient plus ensemble et que les gamins soient en sécurité. On ne peut pas arriver chez les gens et leur dire de se débrouiller, il faut trouver une solution. Souvent nous nous tournons vers les associations. La relation avec les associations, c’est du miracle permanent.

Nous ne sommes pas infaillibles. J’ai souvenir de l’incendie criminel d’un foyer intercommunal. L’enquête me tenait à cœur, je connaissais un peu les habitants du lieu. Mais je n’ai jamais pu trouver les auteurs. Pour les victimes de ces petits villages, ce fut terrible. Ils avaient pris un coup au moral et cela s’est même répercuté sur la santé de certains d’entre eux. Que je ne retrouve pas le ou les coupables a, pour eux, été une frustration. Pour moi, plus qu’une déception, ça a été l’image de l’échec.

Heureusement, je connais aussi des moments gratifiants. Une dame, aux revenus modestes, était partie avec sa copine pour son premier grand voyage. Coup dur : elle fut victime de l’utilisation frauduleuse de sa carte bancaire. Mon enquête me permit de découvrir que c’était sa copine qui était la coupable : elle avait utilisé la carte bancaire sur Internet. En apprenant cela, la pauvre dame était désespérée. Par la suite, elle m’a envoyé un courrier plein d’humanisme, de gentillesse… et bourré de fautes d’orthographe. Je m’en veux de ne pas l’avoir gardé. Il y avait du cœur et des remerciements très sincères. C’est pour ça que je fais ce boulot. Je suis au service des victimes et j’essaie de les sortir d’une situation difficile. Disons que si on me prend pour Zorro, je ne suis pas masqué ! Je ne suis pas un justicier, mais un enquêteur, qui essaie de faire de son mieux pour les victimes.

Il m’est arrivé de créer des liens très forts avec les personnes à qui j’ai à faire, y compris celles qui sont mises en cause. Quand tu tiens un type pendant 96 heures en garde à vue, tu le connais bien à la fin, et vice versa. Il y a un rapport humain qui s’établit. Je travaille dans le respect de la personne, et je suis là ni pour le juger ni pour lui faire la morale. Mon rôle est de le présenter à la justice qui décidera ce qu’il doit payer à la société. Ils doivent le sentir, je n’ai pas de difficulté avec ces gens.

Le travail se fait toujours en équipe. C’est pour ça que je dis souvent « on ». Quand on intervient, on est toujours deux. Pour notre sécurité d’abord, mais aussi pour l’efficacité : plus on est nombreux, plus on diversifie les ressources pour s’adapter et pour réfléchir. Quelle que soit la qualité de relation que j’entretiens avec le collègue, je sais que, si nous sommes confrontées à de la violence, si je risque mon intégrité physique, ma vie peut dépendre de lui. Qu’il me soit sympathique ou non, il faut que j’aie confiance en lui. Dans les moments cruciaux, tu sais que tu as un uniforme avec toi. Le sentiment d’appartenance développe la confiance et la solidarité. Une caserne de gendarmerie, ce n’est pas une grande famille, c’est un corps dont la mission est d’intervenir sur le terrain.

Dans la brigade, chacun sait ce qu’il a à faire, chacun sait quel est son rôle. Un planning détermine le fonctionnement de l’unité selon nos grades et qualifications. Nous n’avons pas tous les mêmes missions. Étant adjudant-chef officier, second grade dans la hiérarchie juste après le major qui commande la brigade, je fais de moins en moins d’interventions sur le terrain. Dans l’équipe d’encadrement, je m’occupe de tâches administratives pour faire fonctionner la maison. Heureusement, je continue à faire des enquêtes parce que je suis officier de police judiciaire.

J’ai aussi des périodes d’astreinte : il faut alors dormir à côté du téléphone, en espérant qu’il ne sonne pas. Lors de la dernière astreinte, j’étais en train de m’habiller pour partir au resto avec des copains et j’ai été appelé pour un homicide : un type venait de tuer sa femme. Je n’ai pas mis le jean, mais l’uniforme et les rangers, et je suis parti. Il était 20 h. Arrivé sur place, j’ai vu la femme au milieu du salon, par terre. On a fait un gel des lieux avec des rubans jaunes pour éviter de polluer la scène. Puis sont entrés en action ceux que les gens appellent « les experts de Miami ». Nous, nous les appelons « les techniciens en investigations criminelles ». Ensuite est venu le procureur. C’est comme à la télé… Ou plutôt, à la télé, ils essaient de faire comme en vrai. Mais la réalité fait encore plus peur : la fiction édulcore. Et c’est mieux ainsi.

C’est prenant le judiciaire. Quand je rentre chez moi, je ramène le boulot dans mes pensées. Quand j’ai de grosses enquêtes mes nuits sont courtes. C’est parfois au détriment de la vie de famille mais tant pis, la satisfaction de l’enquête aboutie est extraordinaire.

Patrick
Gendarme adjudant-chef, sous-officier de police judiciaire.

Propos recueillis et mis en récit par Roxane Caty-Leslé


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