Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 20

Mercredi 1er avril

Ce matin, je dois être une des premières à me connecter sur le site impots. gouv.fr : dès 6 h, je remplis la demande d’aide « aux entreprises fragilisées par le COVID » à partir de la messagerie personnelle qui m’est dédiée sur le site. La confirmation de la Direction générale des finances publiques arrive à 6 h 18 exactement sur ma boite mail. Je devrais percevoir 784 €, ce qui correspond à mon chiffre d’affaires moyen depuis septembre dernier. Il est en effet très rare de pouvoir vivre d’une entreprise d’écrivain public. Au passage, je félicite intérieurement le service public, qui est déjà prêt. Je pense également à l’ampleur des sollicitations qui vont arriver vers le fisc, ce qui explique probablement le report d’une semaine de la date d’ouverture de la période de déclaration de revenus.

Ensuite, je m’attèle au Bilan pédagogique et financier de la part de mon activité consacrée à la formation sur un autre site public, intitulé mesdemarches.gouv.fr. Là encore, je dois être une des premières à remplir mes obligations puisque la fenêtre ouverte pour cette déclaration court du 1er au 30 avril : en dépit de quelques hésitations pour renseigner un formulaire que je ne connais pas encore, je reçois confirmation de la réception de mon bilan à 7 h 15. Cette année, tout est dématérialisé en raison de la réduction des passages de la Poste, qui fréquente désormais nos boites à lettres seulement du mercredi au vendredi.

Ce matin, pas d’horaires décalés, pas de douche à midi, je suis prête plus tôt que d’habitude pour cause de livraison de surgelés. Deux jours plus tôt, lorsque le chauffeur du camion frigorifique m’a appelée pour prendre la commande, il m’a donné les consignes : « Voici le montant à régler. Cette fois, vous paierez par chèque, que vous mettrez dans une enveloppe. Après avoir laissé le carton sur le seuil, je sonnerai puis me reculerai d’un mètre le temps que vous ouvriez et que vous déposiez le paiement sur le pas de la porte. » Dès 9 h, mon compagnon aperçoit le reflet du véhicule dans la porte-fenêtre donc je vais ouvrir la porte et j’attends à distance règlementaire. Le livreur dépose le colis et ramasse le chèque. Nous échangeons quelques mots ; je le remercie de continuer à assurer la distribution, il a cette réponse désabusée : « C’est une bien triste façon d’exercer notre métier. »

Après, je « bouine », comme on dit en Normandie. Bouiner veut dire fainéanter plutôt que se mettre à la tâche et, par extension, ce verbe local désigne l’action de faire quelque chose qui n’avance guère ou qui ne sert pas à grand-chose. En temps de confinement, bouiner confine à l’art. C’est un moyen quasi vital de s’occuper, de se donner l’illusion de travailler. Pour ma part, entre quelques mails reçus et envoyés, trois ou quatre petites recherches sur Internet pas franchement indispensables, j’assure ma toute petite part des activités scolaires ou langagières de mes petits-fils : quand je rappelle à l’ainé quel jour nous sommes, il saute sur sa chaise, me dit qu’il va accrocher des poissons dans le dos de son petit frère, encore étranger à cette tradition. J’apporte personnellement ma contribution à la fête en enregistrant trois poésies rigolotes. Dont une de Boris Vian en personne, que je ne connaissais pas.

À 15 h 35, je reçois un texte à lire pour une future mise en ligne sur le site de la coopérative Dire Le Travail. À 21 h 35, Laurence, de mon groupe Les potes dépressives (non, il ne s’agit pas d’un groupe de rock) m’envoie la version 2 de son article pour l’ouvrage collectif sur la souffrance au travail qui se prépare. Hum, ça sent bon… Je les garde pour demain…

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe

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