Mercredi 25 mars
Après le visionnage de plusieurs épisodes de ma série en début de matinée, je reçois un coup de téléphone du client à qui j’ai envoyé le manuscrit cette nuit. Bénéfice secondaire du confinement : quand il a appris qu’il serait condamné à ne plus pouvoir gérer son entreprise d’expertise immobilière, il est monté dans sa voiture, direction la banlieue chic de Paris, pour rejoindre sa douce. Tant qu’à être confiné, autant l’être avec son épouse. Celle-ci est restée en retrait depuis qu’il a décidé de me faire écrire le récit de l’épreuve inouïe qu’elle a traversée. Maintenant, quand il m’appelle, elle est à ses côtés. Aujourd’hui, au bout de quelques minutes, elle demande à me parler : « Je peux répondre à vos questions, je connais les éléments du dossier par cœur. », me dit-elle. Nous aurons, elle et moi, une conversation de près d’une heure, entrecoupée parfois de quelques interventions de son mari.
Bloqués tous les deux dans leur appartement, ils décident de faire avancer le projet de livre : ils n’ont pas les pièces du procès, mais espèrent se les procurer si les tribunaux fonctionnent. Ensuite, il faudra finaliser le manuscrit par une longue interview de la principale protagoniste sur son arrestation, son incarcération, sa sortie de prison, l’attente du procès, l’acquittement. Elle veut que ce soit écrit comme un scénario : « On ne sait jamais, dit-elle, un sourire dans la voix, s’il y a un film un jour. » J’acquiesce. La suite : le soumettre à ses avocats, qui ne peuvent se prononcer sur la rédaction de la préface qu’après avoir lu l’ensemble de l’ouvrage parce qu’ils engagent leur réputation. Et enfin, trouver l’éditeur dont l’attention ne pourra qu’être attirée par les noms des deux conseils qui figurent parmi les plus connus du barreau.
L’après-midi, je visionne à la télévision la conférence de presse de quatre ministres à l’issue du Conseil du même nom : parmi eux, Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud informent les auditeurs qu’une vingtaine d’ordonnances ont été signées le matin même pour éviter le naufrage économique du pays. Parmi les mesures annoncées, un Fonds de solidarité est créé, permettant aux entreprises, et notamment aux autoentrepreneurs, de bénéficier d’une aide automatique de 1500 € si le chiffre d’affaires a subi au mois de mars une perte d’au moins 70 %. Pour moi, le calcul est facile à faire : sur les six mois qu’a vécus ma petite entreprise, j’ai déclaré la somme moyenne de 784,16 € ; il me faudrait donc afficher un chiffre d’affaires inférieur à 235,25 €. Or, je n’ai reçu aucun versement de la part de mes clients pour mon activité du mois de mars. Soit parce que mes rendez-vous ont été annulés, soit parce que les personnes rencontrées ne m’ont pas réglée ce jour-là. Ah si ! J’ai bien reçu par la Poste un chèque de 200 €, mais son expéditeur m’a demandé de ne le déposer à la banque que le 9 avril, quand il aura perçu sa toute petite retraite.
Je ne peux m’empêcher de penser aux employés de la DGFIP (les impôts) qui vont devoir redoubler d’efforts dès le 1er avril et le lancement du dépôt des dossiers. Comme je pense aux couvreurs que je vois poser des tuiles au soleil, sur le toit que j’aperçois depuis mon poste de travail, planté entre la mer et moi. « Pourvu que l’entreprise ne monte pas un étage au-dessus du garage et ne vienne barrer la vue que j’ai la chance de posséder sur la plage toute proche », me dis-je, tout en ressentant une vague de culpabilité. Plage. Vague. Pas fait exprès…
Je reçois dans la journée un appel du service de cardiologie d’une clinique qui devait pratiquer sur moi une échographie transoesophagienne le 31 mars : en raison de la pandémie, les hôpitaux privés viennent de libérer 4000 lits de réanimation. Ceci explique cela. Les services sanitaires ont besoin de toutes leurs ressources, qu’elles soient humaines ou matérielles, pour accueillir un afflux de malades. Mince, flute, crotte, je m’étais habituée à l’idée de cet examen désagréable. Il est différé à une date encore inconnue et il me faudra m’y préparer à nouveau. Culpabilité encore à cette pensée.
Corinne Le Bars, écrivain public et biographe
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