Des récits du travail

Faire – portrait de Simone Pheulpin

Une vidéo à regarder en rapport avec le texte : spheulpin.free.fr/8.html

faire & refaire

refaire & faire tenir
dans l’invisible creux de soi
la brute promesse du proche futur

ce qui n’est pas
est déjà dit

contourne sa forme
& se devine
dans l’immanquable devenir

pour un temps
le temps s’arrête

phalanges fossiles

ces doigts réfléchissent sans y penser
emmaillotés entre l’aube maritime
& la nuit des forêts

les mains travaillent
un blanc si blanc

un blanc si cru
& si impur
au fond duquel la vie se tord
se serre & se respire

l’œuvre dans sa chaste vérité
fuit d’un regard qui ne sait rien d’avance

nul amour ne se déclare
le cœur est pris ailleurs

la peau des ongles disparait
parmi les plis
ils parlent peu
ils disent tout

ils disent long sur la matière
toujours secrète
jamais occulte

de la forme qui s’occupe à révéler
sa propre naissance chemin faisant

* * *

d’où vient-elle
quel est le nom de l’unique créature
tantôt cerveau
tantôt poumon

enrobée
enrubannée

à faire le tour de la planète
comme on boucle une tresse
ou l’espiègle bretelle d’un petit tablier

à courir le fond des magasins
à perdre haleine dans une prise de fou rire
au chat perché
ou sous la conquête du premier baiser

que voit cette enfant derrière les ballots
quel monde lui confie son ordre du jour

il faut toucher pour reconnaitre
palper
se tromper

faire & défaire
pour voir qui est vrai

le vrai arrive de l’autre côté

du côté obscur du miroir
émerge la plus tendre des confidences

elle croit
elle crée
son univers

* * *

on aimerait y habiter

sous l’écorce du corail
dans l’étanche labyrinthe
où les yeux s’égarent à chaque tournant

maintenu d’une armature
d’une force métallique qui monte la garde
qui grince les dents quand elle pénètre
& tient le vide en espalier

serait-on plus durables
une fois tutorés

les os en éventail d’épingles

le sourire ouvert
& ferme la face qui reste cachée

libre d’écouter la paix
d’épouser tous les jours un brin d’esprit
sans se faire croquer par le chien du voisin

* * *

dans l’antre de son atelier
elle est assise sans en démordre

le temps que prend la création

la regarder c’est ralentir
se rappeler que le silence existe

quand elle coupe le fil
elle coupe le souffle
par le charme d’un détour

détour magique qui réanime
l’envie éternelle de se parfaire

Anna Pietsch
décembre 2014