Je suis la main sur la caisse, j’attends le ticket. Toutes les courses de la dame ne sont pas encore rangées mais il y a une file d’attente. J’ai passé tous les articles, posés un à un sur le tapis, comme choisis à nouveau, l’un après l’autre ; au moment de payer, les billets de banque sont eux aussi sortis un à un du portefeuille, puis une à une les petites pièces du portemonnaie. Et là, j’ai tapé « espèces », la caisse s’est ouverte et quelques secondes s’écoulent avant que sorte le ticket de la machine. Je le plie, je sais qu’il n’y a pas d’erreurs, je suis tranquille, mais il va me falloir faire de la place pour le client suivant sans la bousculer.
Je travaille dans une grande surface depuis maintenant sept mois en tant que caissier. C’est un boulot que je qualifierais de facile, dans le sens où deux semaines suffisent à maitriser toutes les procédures. Cependant, il y a un automatisme qui a été un peu plus difficile à acquérir que les autres : celui du pliage de tickets de caisse.
Chaque ticket de caisse est unique. La liste qu’il dresse ne ressemblera jamais à une autre, carte de fidélité ou non. Dans son nombre de plis, dans sa forme finale après pliage, il peut me faire sentir organisé et bon travailleur, comme il peut m’énerver et me stresser en un très court instant…
Certes, quelle importance ? Quand vous en recevez, vous posez-vous la question ? Ça n’est qu’un bout de papier plus ou moins long que je dois donner aux clients après leur avoir rendu la monnaie. Parfois, pas toujours, je compare sa longueur en fonction du nombre d’articles. Quand je vois un caddie de quatre-vingts articles, je sais que le ticket sera énorme. Quand un client passe en caisse avec un seul article, je me demande pourquoi le ticket est aussi long.
Le ticket de caisse n’est jamais moins long qu’un ticket de carte bleue. J’essaye de faire des généralités : trente articles, trois plis ; quarante articles, quatre plis, etc. Mais ça ne dure pas très longtemps avant que l’automatisme du pliage de ticket s’active et que je ne calcule plus le nombre de plis que je dois faire. Alors je plie au feeling, au toucher. Je commence pendant qu’il sort. J’essaye de faire un ticket pas trop long ni trop court, symétrique aux autres tickets que je vais arracher de la machine imprimante. Des fois ça marche bien, surtout quand je rabats le ticket le plus long sur les tickets les plus courts, pour en faire comme un livret. Et des fois ça marche moins bien, le ticket se tord ou dépasse, ça n’est pas propre.
Peut-être que ce métier facile n’est pas fait pour les maniaques des plis, ou peut-être qu’au contraire il leur est destiné ? Dans le pliage de ticket, je vois la dernière occasion qu’a le client de juger mon travail, et peut-être est-ce mauvais de se demander à outrance comment les clients me voient ? En tous les cas un ticket de caisse n’est rarement autre qu’une future boule de papier, et cette pensée permet de relativiser lorsque je doute de mon pliage.
Nadir Abdelgaber