La première assemblée générale statutaire de la coopérative Dire Le Travail aura lieu les 25 et 26 février 2017 à Paris. C’est l’occasion de fouiller dans les premières archives, et par exemple de retrouver l’interview ci-dessous, jamais publiée. Elle présente bien les diverses dimensions du projet, il était dommage de la laisser dans un placard…
Patrice, quel est votre parcours ?
Enseignant en collège, j’ai mis le doigt dans l’écriture des pratiques professionnelles en proposant des articles pour la revue Les Cahiers pédagogiques. Cette façon d’aborder le métier en le mettant par écrit, en le partageant entre pairs m’a passionné, au point d’y consacrer tout mon temps en devenant rédacteur en chef de la revue pendant quelques années.
Comment est née l’idée de la coopérative Dire Le Travail ?
C’est en s’appuyant sur le réseau et l’expérience des Cahiers pédagogiques que nous avons voulu élargir la démarche à l’ensemble du monde professionnel : faire écrire des travailleurs sur leur activité, dans leur intérêt personnel parce que ça fait de l’effet de réfléchir et de s’exprimer sur son travail, dans l’intérêt de leur collectif de travail, parce qu’il y a de quoi discuter pour faire du bon travail à plusieurs, et enfin dans l’intérêt de tous, parce que le travail est une activité tournée vers autrui, constitutive d’une société, et qu’en parler fait prendre conscience du lien social qu’il institue.
Quelles sont les activités de Dire Le Travail ?
Nous travaillons avec des organismes qui souhaitent faire connaitre leur travail de leurs employés ou partenaires : ainsi l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme qui organise des ateliers pour formaliser et faire remonter les « bonnes pratiques » des intervenants dans la prise en charge des personnes en difficulté dans les compétences de base. Comment donner utilement à voir le travail réel sans tomber dans le mode d’emploi à appliquer quel que soit le contexte ? Beau défi !
Nous intervenons aussi dans des formations autour de l’écriture professionnelle : rapport de stages, ou à l’inverse rapports de tuteurs sur les stagiaires, dossier de reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle.
Nous proposons également des ateliers d’écriture sur le travail à destination de particuliers, par exemple dans des bibliothèques.
Nous avons enfin des projets de publication de « récits du travail », des textes écrits par des travailleurs eux-mêmes, avec notre appui : une revue qui aide à comprendre le monde en montrant que derrière chaque évènement de l’actualité, il y a du travail accompli, du travail méconnu, du travail ordinaire.
Quelles sont les convictions de Dire Le Travail ?
Ma réponse sera large, car les options politiques ou syndicales sont diverses dans la coopérative. Nous nous retrouvons dans la conviction que le travail fait société : il permet à chacun d’y trouver sa place par une activité utile à autrui ; ce sont ces activités qui permettent le renouvèlement et le développement de la société. Nous voudrions œuvrer à ce que dire le travail contribue, un tant soit peu, à l’émancipation de ceux qui le font.
À qui s’adressent ces activités ?
Nous sommes plutôt portés, de par nos origines et nos convictions, vers le monde de l’économie sociale et solidaire, ou encore l’éducation populaire. Mais nous souhaiterions vraiment couvrir l’ensemble des champs professionnels, y compris ceux qu’on en entend le moins. Pour prendre un exemple dans l’actualité chaude : montrer que dans les abattoirs, la souffrance animale va de pair avec celles des travailleurs qui s’esquintent physiquement et moralement à la tâche. Si on veut savoir ce qu’il s’y passe autrement qu’avec des caméras cachées par des journalistes ou imposées par une règlementation, donnons plutôt la parole aux travailleurs !
Pourquoi le choix de ce titre Dire Le Travail ?
Parce qu’il est difficile de monter une activité à vocation médiatique à partir de rien, et qu’il vaut mieux un titre très explicite pour se faire connaitre !
Pour quelles raisons avoir choisi le statut de la coopérative ? Qu’est-ce que cela implique ?
Nous avons choisi le statut de société coopérative à intérêt collectif (SCIC) : on ne sait jamais comment prononcer cet acronyme, mais chaque mot de l’intitulé nous correspond très fort ! Nous voulons développer une activité économique, donc une entreprise, pour avoir les moyens de porter haut le projet, et une structure associative nous aurait semblé trop modeste. Et nous voulons en faire une activité collective, contrôlée par toutes les parties prenantes, loin d’une start-up d’un inventeur avide de dollars.
Quelle est la spécificité ou l’originalité de la coopérative Dire Le Travail ?
On nous renvoie souvent la difficulté à nous faire rentrer dans une catégorie. Nous ne sommes pas un mouvement revendicatif, même si nous partageons souvent les inquiétudes ou les indignations de ceux qui s’alarment du travail mal considéré, mal traité, qui fait souffrir ceux qui le font. Nous ne sommes pas une agence de conseil ou d’experts pour des manageurs, même si ceux-ci auraient à gagner à considérer davantage le travail réel tel que peuvent le dire les travailleurs. Nous voudrions être catalyseurs d’une réaction sociale : contribuer à ce que les travailleurs prennent la main sur leur travail.
Quels sont vos projets à venir ?
Sur notre table de travail : un site à développer à notre main, pour mettre en valeur les « récits du travail » que nous collectons, leur trouver le public qu’ils méritent. Si tout va bien, à venir d’ici cet été !
Patrice Bride