Difficile de s’arrêter de travailler pour Malika. Alors elle créée son entreprise !
À l’approche de ma retraite, une dame est venue à l’usine de fromages et m’a dit que si je continuais à travailler après 60 ans, ce ne serait que pour le salaire. Je ne continuerais pas à cotiser et ma retraite n’augmenterait pas. Elle m’a expliqué que je gagnerais mieux en restant chez moi qu’en allant au boulot.
Pour moi ce n’était pas possible, je suis une personne qui n’est bien qu’au travail. Comme j’aime travailler, ma fille, Aïda, a eu une idée. Je sais bien faire à manger mais des kebabs il y en a beaucoup, ça ne pouvait pas marcher. Par contre, pas de hammam, et ça manque : pourquoi pas ? J’ai eu l’occasion de travailler dans un hammam. J’observais la patronne quand elle mettait en route la chaudière ou le sauna, comment elle remettait de la pression, je regardais quand elle réparait les lavabos. Elle m’expliquait ce qu’elle faisait quand elle s’occupait des stocks. Je posais aussi beaucoup de questions. Je regardais comment elle faisait le thé vert à la menthe parce que chez moi, en Tunisie on boit du thé rouge. Je sais faire des épilations et je suis bricoleuse. Et puis j’aime m’occuper des gens, les accueillir, leur faire du bien. Comme ça je ne resterais pas à la maison entre quatre murs à ne rien faire !
Aïda m’a aidé pour monter un dossier pour obtenir un prêt. Et ça a marché ! J’ai acheté un local en 2006. Auparavant c’était un petit atelier où on fabriquait et vendait des extincteurs. C’est grand, il y a un sous-sol de la même surface que le hammam. La cage d’ascenseur a été transformée en salon de coiffure. Du côté de la rue, l’ancienne boutique a été transformée en hammam et du côté de la rue Pierre et Marie Curie, là où étaient le garage et l’entrepôt, maintenant c’est l’accueil et le salon. Ce qui est bien, ici, c’est que c’est facile et gratuit pour se garer.
Mes enfants m’ont aidée et continuent de m’aider, surtout Aïda. Le jour des hommes, le samedi après-midi, c’est mon fils qui s’en occupe, en plus de son travail. Quand j’organise des soirées le samedi, Abla ma fille, anime la fête après sa journée de travail, elle danse, des danses orientales. Par exemple, j’organise des enterrements de vie de jeune fille. La future mariée entre avec des bougies dans le hammam. On la lave, tout le monde se lave avec elle. On sort, on boit. Ensuite on met de la musique, les femmes dansent, on met de la musique. Si on veut, on apporte des gâteaux. Moi je fais à manger pour tout le monde !
Le hammam c’est beaucoup de travail. Il faut que tout soit très propre. L’hygiène, c’est très important. Il faut savoir vérifier la pression, réparer la chaudière si elle tombe en panne, pour de petites anomalies. Maintenant, pour faire des économies, je n’allume le sauna que quand la première personne n’arrive, pas avant. Les flexibles des lavabos s’usent avec la chaleur. Au début, je faisais venir un plombier » qui prenait cher. Alors j’ai surveillé comment il faisait. J’ai trouvé que c’était simple comme bonjour. Alors maintenant je répare moi-même. C’est comme ça que je m’en sors.
Je sais aussi fabriquer des produits bios pour les soins au hammam. Je fabrique moi-même une poudre contre la transpiration : dans mon mixeur je mets des pierres d’alun que j’ai un peu cassées avant dans mon mortier, puis je les broie. Je tamise la poudre et je rajoute du musc pour l’odeur. Ensuite je mets la poudre dans des boites.
Je fais moi-même de la teinture pour les cheveux : je grille des clous de girofle et des noix de galle vertes séparément dans un peu d’huile d’olive. Je mixe tout ensemble et il faut dormir douze heures avec cette poudre sur les cheveux. Ça rend les cheveux brillants. Ce produit enlève aussi les maux de tête.
Je fabrique moi-même la cire à épiler. C’est une femme qui m’a transmis la recette, quand je travaillais dans un autre hammam. J’ai un ingrédient secret, que même mes filles ne connaissent pas ! C’est grâce à cet ingrédient que le poil ne repousse pas pendant très longtemps. Il y a une manière de passer la cire. Il faut la remonter pour qu’elle colle aux poils, pour que ça fasse beaucoup moins mal à la personne. Je ne prends pas les gens qui se rasent au rasoir : la cire ne s’accroche pas sur les poils coupés au rasoir, ils ne poussent pas pareil et la moitié des poils ne s’enlèvent pas.
Je fabrique aussi le produit pour faire des tatouages : avec la peau de noix (le brou), un peu de la peau fine de noisette, des fruits de l’arbousier, des noix de galle grillées. Je mets tout dans une casserole spéciale fermée hermétiquement avec de la farine et un peu d’eau tout autour du couvercle. La fumée s’accroche au couvercle. Ensuite je gratte la fumée. Ça fait comme de l’encre de Chine à peine liquide. C’est un travail très pénible mais j’aime beaucoup le faire. Quand une cliente veut un tatouage, je pose un pochoir sur sa cheville, par exemple et je passe cette encre avec le doigt et le tatouage reste à peu près vingt jours.
Je cuisine aussi des makrouts à peu près une fois par mois. C’est très long à faire. J’ai appris en regardant, comme toutes les choses qui m’intéressent. J’ai demandé les quantités. Je fais la pâte, je la laisse reposer deux heures, avant de faire frire les gâteaux. Il faut savoir les conserver. Au début, tout le miel tombait au fond, ils étaient tout secs. Maintenant, je mets un papier d’aluminium entre chaque étage, comme ça, le miel reste. J’ai trouvé cette idée toute seule.
Malika
Propos mis en récit par Martine Silberstein
Prochain épisode, vendredi 10 juin : Des secrets de fabrication, Malika en a bien d’autres. Elle veut bien en partager certains, mais il en est un qui restera secret…