Au chômage depuis peu, Alain, une cinquantaine d’années, a ouvert une micro-entreprise de traduction de l’espagnol et de l’anglais vers le français. Il vit seul en appartement dans une communauté urbaine de 200 000 habitants.
Je me demande parfois ce qu’aurait été le confinement il y a vingt-cinq ans, sans téléphone portable, sans internet, sans toutes ces chaines de télévision, sans ordinateur, bref sans perfusion. Qu’aurions-nous fait, sinon tourner en rond comme des poissons ?
Aujourd’hui je me propose de traduire une dizaine de pages issues d’un recueil de nouvelles de l’écrivain péruvien Rafael Roque. Je l’ai reçu il y a un mois environ et je n’ai traduit que la moitié du livre. C’est que je devais d’abord finir la traduction d’un autre manuscrit, puis le relire et le corriger.
Le confinement nous a tous pris par surprise. Je venais de peaufiner un très beau dossier pour le court roman de Rodrigo Soto, un auteur costaricain (mais faut-il dire costaricien ?) et je m’apprêtais à l’envoyer à plusieurs maisons d’édition lorsque, subitement, l’activité des secteurs « non essentiels » a été prise dans la glace. Ou dans le formol. Ce dossier, mon pauvre Rodrigo Soto et moi-même en attendons beaucoup, car c’est un bon texte qu’on tient là. Alors comme tant d’autres choses, comme les apéros avec les amis, tout n’est que partie remise, et je garde ce projet sous le coude, prêt à dégainer dès que la menace virale sera passée.
Donc il me faut traduire ce nouveau manuscrit : « Imágenes en completo silencio ». Un recueil de nouvelles d’une centaine de pages. J’aurai fini avant la fin du confinement. Mon objectif est de traduire une trentaine de pages par semaine. C’est beaucoup, parait-il. Je ne sais pas, je suis nouveau traducteur. Là aussi, c’est un pari, car si aucun éditeur n’accepte de le publier, je vais me retrouver avec des heures de travail qui ne seront pas rémunérées : en effet, il ne s’agit pas d’une commande, c’est une initiative personnelle, dont la visée principale est de me faire connaitre du milieu de l’édition. Au moins ne me serai-je pas ennuyé pendant ces journées de « mornitude ».
Allez hop ! J’allume l’ordi, le moniteur externe pour afficher le texte original, et c’est parti pour trois heures aujourd’hui. Peut-être quatre si je suis inspiré. Il fait moche dehors ? Tant pis, moi je pars au Pérou !
Alain, traducteur
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