Dire le travail en temps de confinement/L'habitat vu de chez soi

Initiation au télétravail : être ensemble seule

Florence est actuellement une cloudworkeuse… Dans la vie de tous les jours, son activité consiste à poser les fondations d’une politique en faveur de l’habitat et du logement. Des termes qui prennent une autre dimension en cette période un peu trouble.

J’ai eu la bonne idée de prendre quelques jours de vacances alors que le président de la République annonçait déjà la fermeture des écoles, collèges et universités. Vendredi, j’ai donc quitté mes collègues de bureau sur un « bon weekend et bon courage » puisqu’une majorité d’entre elles, étant mères de famille, se creusaient déjà la tête pour savoir de quelle manière elles allaient s’organiser pour mener de front vie professionnelle, vie familiale au sein d’un même espace clos. Ce n’est que le lundi soir, lorsque le président a de nouveau pris la parole pour annoncer cette première période de confinement, que j’ai compris que je ne reprendrais pas le chemin habituel du travail à la fin de mes congés. J’ai compris aussi que j’allais alors devoir m’organiser pour travailler à distance, avec pour seuls outils mon ordinateur et téléphone portable. À cet instant, et je ne pensais pas écrire cela un jour, j’ai une pensée émue pour mon petit coin de bureau, dans les locaux de ma collectivité, où sont empilés tous mes dossiers, figés, pour encore quelques semaines. Ma tasse, mes sachets de thé, et ce fauteuil rouge un peu délavé qui ne tournera plus. Peut-être ma ligne fixe sonne-t-elle encore de temps à autre, « Le téléphone pourra sonner, il n’y aura plus d’abonné », comme dit la chanson… Je me demande d’ailleurs si la femme de ménage continue à travailler.

J’exerce, depuis un peu plus de deux ans, le métier de chargée de mission en Habitat au sein d’une collectivité locale du département des Vosges. La mission, que j’ai acceptée, consiste à mener une politique en faveur de l’habitat sur le territoire de l’EPCI qui me concerne. Que devons-nous entendre au sens de l’habitat ? Il s’agit d’apporter les réponses en matière de logement aux populations vivant dans ces communes (jeunes, couples, célibataires, étudiants, personnes âgées…), en d’autres termes apporter les solutions en matière de parcours résidentiel ; en n’oubliant pas bien sûr la qualité du bâti (besoins en termes de rénovation énergétique, d’adaptation au vieillissement, etc.). Tout cela en tenant compte du contexte qui est le nôtre, au sein d’un département vieillissant, et qui malheureusement voit ses populations les plus jeunes le quitter au profit de régions plus attractives économiquement et sans doute climatiquement aussi… Pour faire simple et de manière assez générale, je contribue donc, à travers mon travail, à l’aménagement du territoire et à l’entretien du patrimoine existant.

Au quotidien, en lien avec d’autres membres de la direction, je réfléchis, rédige, échange, partage, mes idées et compétences afin de conseiller les élus sur les actions à mener en faveur donc des populations résidant dans le territoire. Mes missions et mon objet de réflexion prennent une dimension nouvelle en cette période où le confinement s’impose au plus grand nombre, comme une sorte d’hibernation avec quelques semaines de retard… Ce toit, ces murs, acquis plus ou moins péniblement ou bien investis à titre temporaire dans le cas d’une location, apparaissent alors comme le lieu de tous les possibles : une discothèque le temps de partager quelques morceaux de musique, une salle de sport, un lieu de travail.

Partager un bureau à deux n’est pas une chose aisée pour moi, et je dois avouer que cette situation de télétravail ne me déplait pas dans la mesure où elle me permet de travailler seule. Rapidement, il m’a fallu trouver un moyen de garder contact avec mes collègues. En effet, je fais partie de celles et ceux qui chaque matin font un petit coucou à chacun de ses collègues – les embrassades en moins –. Très vite, je me suis retrouvée à envoyer un mail à tous ceux que je côtoie plus ou moins régulièrement, pour souhaiter bon courage, prendre des nouvelles et surtout se dire à bientôt, en chair et en os sans doute à la recherche d’une unité spatio-temporelle. Plusieurs réponses n’ont pas tardé. Au fil de la lecture, je me suis mise à visualiser mes collègues à leur poste de travail, dans leurs espaces que chacun d’entre eux tente de créer pour s’assurer les meilleures conditions possible. Une mise en image facilitée par les quelques brides de discours conservées dans ma mémoire au détour de conversations insignifiantes… Dis-moi comment tu habites ta maison, je te dirai qui tu es (le confort d’une maison spacieuse entourée d’un grand carré de verdure, ou celui rassurant d’un appartement dans lequel chaque objet a sa place, l’incertitude d’une maison en projet dont le devenir de chacune des pièces se dessine…) Leurs familles me deviennent alors plus familières, sous le terme « d’entourage, proches… ». Je tente de mettre un visage, d’imaginer une ambiance, les situations diverses dans lesquelles sont mes collègues. Je dois avouer que les quelques mails échangés me font me sentir plus proche d’eux pendant quelques instants, tentant de poser les fondations d’une cohésion professionnelle, plus difficile à faire vivre d’ordinaire…

Pourtant très vite le travail nous rattrape, avec un premier mail de ma directrice qui demande un point sur les travaux en cours, les urgences calendaires, les dossiers sur lesquels nous travaillons, ainsi que les échanges avec les différents partenaires ou prestataires. Je redoute le moment où il me faudra faire une visioconférence ; autant il m’est possible de m’exprimer longuement à l’écrit, autant l’expression orale est pour moi un calvaire… Ne disposant pas d’imprimante à mon domicile, j’ai compris que cette situation allait me permettre de revoir ma manière de travailler, en cessant d’éditer des dizaines de documents, certes en noir et blanc et recto verso, qui finissent par s’amonceler sur mon bureau. Je savais aussi que j’allais faire du bien à la planète en ne prenant plus ma voiture pour parcourir les quarante kilomètres qui me séparent de mon lieu de travail… Garder le contact avec mes collègues, garder un rythme de travail : voilà les premières choses auxquelles j’ai pensé.

Florence, cloudworkeuse, chargée des politiques de l’habitat dans une collectivité territoriale.

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