A 57 ans, Nathalie*, est consultante en évolution professionnelle à Paris depuis une dizaine d’années. Micro-entrepreneure, elle accompagne des professionnels en activité et, plus globalement, toute personne qui se questionne sur son avenir professionnel, en particulier dans le cadre de bilans de compétences. Elle est, par ailleurs, mère célibataire d’une adolescente collégienne.
La première version de ce récit a été rédigée le 2 avril 2020.
Jusqu’à présent je réalisais des accompagnements Bilan de compétences exclusivement en présentiel. Non pas que le distanciel me fasse peur ou que je trouvais la méthode inadaptée à l’activité, mais cela n’était jusqu’à récemment pas particulièrement favorisé dans la profession.
J’ai pourtant toujours pensé qu’une offre à distance était utile et nécessaire même pour les métiers où l’échange oral et la relation humaine sont au cœur de l’activité. Il m’a toujours semblé qu’en ces temps d’ultra- connectivité tous les moyens devaient être mobilisés pour offrir à la personne des outils modernes pour des accompagnements qui puissent s’adapter aux rythmes de chacun.
« Avec le confinement, plus possible de maintenir des rendez- vous en présentiel »
Et puisqu’il s’agit de faire des entretiens, et d’accompagner les personnes par des travaux préparatoires (des documents d’aide à la réflexion…), le fait que ce soit en présentiel ou à distance ne me semblait pas faire une grande différence. Mais le Covid-19 est arrivé, le confinement a été décrété, et là, il n’était plus possible de maintenir des rendez-vous en présentiel.
J’avais en cours quelques accompagnements en Bilan de Compétences et il me semblait évident qu’il était nécessaire de les poursuivre. Et donc à distance. Cela dit, les bénéficiaires allaient-ils l’accepter ? Et surtout je me demandais si, en cette période particulièrement anxiogène, face à l’inconnu de cet étrange avenir qui s’offre à nous, chacun allait ressentir l’envie de se questionner sur son avenir professionnel… En même temps, au fond, faire un bilan de compétences implique de faire un bilan de ses expériences, de mettre des mots sur ses savoir-faire, ses savoirs-être, ses savoirs. C’est aussi, et surtout, réfléchir à un projet professionnel, se questionner sur ses centres d’intérêts, sur ses valeurs, sur les conditions de travail souhaitées, sur les activités que l’on souhaite faire ou ne plus faire… Et donc, quoi de mieux qu’une période de « pause » comme le confinement pour prendre du recul et se poser les bonnes questions ?
« De quoi sera fait le futur ? Dans quel état sera le marché de l’emploi ? Quels métiers vont émerger ? »
Cela dit, il s’agit aussi de se questionner sur un métier, une activité future… Mais là, peut-on se demander, de quoi sera fait le futur ? Dans quel état sera le marché de l’emploi ? Quels métiers vont émerger ? Quelles économies vont se développer ? A quelle échéance ? Au début du confinement, comme maintenant, qui donc le sait ? Chacun craignant déjà pour son poste actuel, comment envisager, aujourd’hui, un avenir professionnel différent. On peut l’espérer, on peut le décrire, mais on ne peut pas encore le vérifier.
En début de confinement, j’étais pour ma part particulièrement anxieuse, pour mes proches et pour moi-même, ressentant quelques symptômes qui pouvaient me faire craindre d’être contaminée.. Je comprenais donc assez aisément, puisque l’on pouvait craindre pour notre avenir, que l’on ne soit pas d’humeur à penser « projet » ou à penser « avenir » professionnel. Je sentais que j’allais vite être confrontée à ce conflit : comment accompagner des personnes à la construction d’un projet professionnel futur (c’est-à-dire leur faire envisager un futur professionnel enviable) alors que ce futur était inconnu… et d’autant plus qu’il me semblait, à moi-même, au début, assez flou et inquiétant.
J’ai donc, dans un premier temps, proposé des rendez-vous téléphoniques aux personnes que j’accompagnais, avec l’objectif d’évoquer leurs souhaits pour la suite de l’accompagnement. Bien sûr, ma première préoccupation était de les questionner sur leurs « nouvelles » conditions de travail et sur leur ressenti du confinement. La majorité d’entre eux ne bénéficiaient pas encore du télétravail et ne vivaient pas encore concrètement le confinement, ils étaient donc plutôt confiants, positifs, même si tous trouvaient cette période incroyable. Bref, j’étais la seule en confinement et plus angoissée qu’eux par cette crise sanitaire et ce virus.
Tous étaient partants pour poursuivre leurs Bilan de compétences et le travail à distance leur convenait bien. Certains choisissaient des rendez-vous par téléphone, d’autres par Skype et encore d’autres via des outils de visio-conférence. Chacun souhaitant, contrairement à ce que j’avais pu penser initialement, profiter de cette période qui allait être plus calme pour poursuivre ses réflexions, ou même se préparer à une recherche d’emploi ou à une reconversion, quand la période s’y preterait.
A travers mes échanges avec eux, je me rendis compte tout d’abord de la diversité des vécus face à cette crise. Certains étaient seuls dans des appartements parisiens, d’autres dans des maisons à la campagne ou à la montagne. Et, pour la plupart, profitaient plutôt avec optimisme, de ce nouveau rythme de vie.
« Les éventualités de chômage devenaient plus probables »
Puis, peu à peu, de nouvelles situations sont apparues. Certains se sont retrouvés en chomage partiel, d’autres en télétravail, et d’autres en arrets maladie ponctuels. Certains avaient donc de nouvelles préoccupations et n’avaient plus l’esprit pleinement orienté vers leurs projets futurs. Certains, préoccupés par l’éventualité de devoir retravailler sans que les conditions de sécurité aient été mises en place, étaient inquiets pour leur santé. D’autres, constatant l’ampleur de l’arrêt de leurs activités, craignaient pour leur emploi, sachant par leur RH que de nombreux postes allaient être supprimés. D’autres, encore jeunes étudiants, s’inquiétaient pour leurs perspectives d’entrée sur le marché du travail, sachant que de nombreuses personnes expérimentés allaient elles aussi s’y retrouver.
Bref, les éventualités de chomage devenaient plus probables pour nombre d’entre eux. Comment ne pas les comprendre ? Je ne savais pas moi-même quels allaient être mes revenus pour les mois à venir. Je me demandais cependant si leur « implication » aurait été différente s’il n’y avait pas eu cette crise sanitaire. J’avais souvent constaté, dans mes accompagnements, que certains mettaient plus spontanément des freins, face à un futur souvent considéré comme inatteignable. Et aujourd’hui, avec cette crise, sans vision d’un retour « à la normale » possible (le 11 mai n’était alors pas encore annoncé), il fallait avoir un tempérament sacrément positif pour dépasser ses appréhensions.
Les rendez-vous à distance « rythment mon quotidien »
Pour ma part, j’étais plutôt à l’aise dans l’échange à distance. Mis à part mes outils de travail (ordinateur, téléphone portable..) obsolètes, avec des accès qui fonctionnaient une fois sur deux. Et ce n’était pas le moment de m’acheter un nouveau portable car mes revenus allaient être durement diminués, et sans aucune visibilité de reprise. Ces rendez-vous à distance me sont donc plus que profitables, me permettant de garder un rythme de travail et un lien social. Ils rythment mon quotidien. J’arrive en effet à m’immerger complètement pendant presque deux heures dans les récits professionnels des personnes et parviens bien à faire abstraction de mon environnement.
Par ailleurs, ma fille étant « grande », en tout cas autonome, elle est bien contente de pouvoir passer du temps sur ses écrans sans les interdictions de sa mère. Elle est aussi très discrète, ferme les portes avec précautions, marche sur la pointe des pieds. Nous avons trouvé une organisation qui lui permet de déambuler comme elle le souhaite dans l’appartement sans que je la voie passer derrière mon écran, et reste ainsi pleinement investie dans mes entretiens. Je précise que ceux-ci ont souvent lieu le matin. Car l’après-midi, au même endroit, à la même table, devant le même ordinateur, est consacré à ses devoirs…
Cet espace, c’est donc le bureau le matin, l’école l’après-midi, mais aussi la salle à manger… et, le soir, ma chambre. Tout est finalement bien organisé… dans un monde qui ne l’est absolument plus.
Nathalie, conseillère en évolution professionnelle
*Le prénom et l’âge ont été modifiés.
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