Le travail occupe beaucoup de place dans nos vies, au point que ce n’est jamais simple de gérer son absence : on ne se satisfait pas très longtemps d’être au chômage ; la cessation d’une activité professionnelle au moment du passage à la retraite est toujours délicate. Le travail est envahissant quand il empiète sur la vie privée, accapare les préoccupations. Il est épanouissant quand on s’y sent utile, efficace, à sa place. Il est indispensable, parce qu’il permet de contribuer à la vie commune.
Mais on peut penser aussi que la vraie vie est ailleurs : dans les moments partagés avec ceux que l’on aime, dans des pratiques culturelles, artistiques, sportives ; dans le plaisir d’un bon repas, de la contemplation d’un paysage, de l’écoute d’une belle musique.
Là, j’ai envie de chercher les liens entre ces deux approches plutôt que de les opposer. Peut-on concilier le travail producteur, tourné vers le service à autrui, et les activités culturelles ou de loisirs, tournées vers la satisfaction personnelle ?
Dans notre société, la séparation est radicale : on s’assoit dans la salle de spectacle, et on assiste passivement au travail des artistes ; on achète la voiture pour son usage personnel, et on ne peut même plus bricoler le moteur tant les mécanismes en sont compliqués ; même plus besoin de cuisiner chez soi, le plat surgelé est « préparé », la salade prête à l’emploi, la capsule de café prête à être insérée dans la machine.
On pourrait faire d’autres choix, dans tous les domaines : passer alternativement de la position de celui qui joue à celui qui écoute, de celui qui cuisine à celui qui déguste, de celui qui fabrique à celui qui utilise, de celui qui écrit à celui qui lit. Si l’organisation du travail prévoyait que tous ceux qui veulent acheter une voiture passent d’abord une ou deux journées sur un robot de l’usine PSA de Saint-Ouen, il y aurait peut-être moins d’amateurs…
Patrice Bride