Christian est cuisinier livreur dans l’Essonne. Il est indépendant. Avec le confinement, ses heures de travail ont considérablement augmenté, ce qui ne l’empêche pas de prendre le temps de discuter avec les clients qu’il livre, pour la plupart des personnes âgées. L’occasion d’aller au-delà de son rôle habituel, en donnant de leurs nouvelles à leur famille, et participant ainsi au maintien d’un lien malgré les contraintes du confinement.
Je suis en cuisine et en livraison toute l’année et tous les jours de la semaine. Mon travail consiste à confectionner des repas, destinés à être livrés à domicile pour des personnes agées. Les repas sont assurés pour tous les jours de la semaine y compris les jours fériés. Les vacances sont rares. Depuis bientôt sept ans que je fais ce travail, je n’ai pris que quatre semaines.
Chaque matin, du lundi au vendredi, je fais les livraisons. Les après-midis, je suis le plus souvent en production (cuisiner, mettre en barquette, filmer et étiqueter, mettre en sacs, stocker en chambre froide). Le vendredi après-midi, je m’occupe de la partie administrative et de l’approvisionnement chez mes grossistes. Et je m’octroie le samedi en journée de repos. Le jeudi, ma journée est beaucoup plus longue car je prépare les repas pour le vendredi, le samedi et le dimanche. Je me mets en cuisine au retour de ma tournée de livraison vers 11h30 et je termine vers 22h. J’effectue les achats alimentaires en moyenne deux fois par semaine, en fonction des menus, qui sont établis à la semaine et distribués chaque vendredi pour que chacun sache à l’avance les plats proposés. Je tiens compte naturellement des aversions, des allergies et des régimes spéciaux.
Pour me fournir, je m’approvisionne chez des grossistes ainsi que dans des supermarchés de temps en temps lorsque je ne trouve pas les produits mis dans mes menus. Depuis le confinement, je m’aperçois qu’il y a des difficultés d’approvisionnement et que les prix ont légèrement augmenté Il m’arrive donc de changer les menus si je ne trouve pas certains produits. Il faut savoir que dans les métiers de bouche, les grossistes sont moins approvisionnés que les supermarchés. Comme beaucoup de restaurants sont fermés, les centrales d’achat privilégient les grandes surfaces. Mais hormis les prix qui ont augmenté de 10 à 15 %, j’arrive tout de même à me fournir. Même avec ce souci d’approvisionnement, je n’ai pas modifié mes tarifs.
Confinement ou pas, mon travail reste le même. Sauf que maintenant je porte le masque, des gants pour la livraison et je me lave fréquemment les mains avec du gel hydro-alcoolique.
Voici une journée type : je me lève vers 6h pour préparer le chargement des sacs à livrer dans les conteneurs isothermes. A 7h, je pars en livraison avec un arrêt chez mon boulanger pour prendre le pain (chaque client qui le souhaite y a droit, sans supplément). Ensuite, je fais le tour de mes clients. Chez chaque personne je m’arrete, sonne, dépose le sac, prend des nouvelles et le temps de discuter un peu et je remonte dans ma voiture vers le prochain client.
De retour à mon domicile environ quatre heures plus tard, je fais une petite pause d’environ trente minutes, pendant laquelle je décharge les sacs vides que j’ai récupéré chez les clients ainsi que les bols de soupe (pour ceux qui en prennent) que je mets au lavage. Je commence en cuisine aux alentours de 11h/11h30 en regardant ce que j’ai prévu au menu pour le lendemain, ainsi que le nombre de clients à livrer qui n’est jamais le même chaque jour. Je prépare mes légumes, viandes et poissons, que du frais, que je cuisine à des températures minimales de 70 à 80 degrés pour les légumes et environ 150 degrés pour les poissons et 180 degrés pour les viandes. Je laisse ensuite reposer mes viandes après cuisson, et j’égoutte pendant ce temps mes légumes que j’accommode avec des sauces différentes chaque jour et pour chaque plat. Ensuite, je mets mes préparations ainsi que le fromage (un différent chaque jour) en barquettes que je scelle à l’aide d’une operculeuse et sur lesquelles j’appose les étiquettes mentionnant le type de plat, la date de fabrication et la date limite de consommation. Je prépare ensuite les sacs de livraisons en fonction, pour chaque client, du menu ou de la formule. Je termine la partie préparation en mettant tous mes sacs dans ma chambre froide (à deux degrés). Sacs qui seront chargés le lendemain matin.
Mon dernier travail consiste à nettoyer entièrement ma cuisine et à vérifier ensuite s’il ne me manque rien pour les menus du lendemain ; auquel cas, je me fais une petite liste de courses à acheter dans une grande surface sur mon trajet de livraison. Ça peut m’arriver lorsque j’ai un appel de dernière minute pour une nouvelle livraison à partir du lendemain. Je préconise un appel au minimum 48h à l’avance mais je suis plutôt arrangeant, surtout pour nos ainés.
Par contre, mon temps de travail a changé. J’ai récupéré une douzaine de clients en plus donc mes temps de préparation et de livraison ont augmenté. En moyenne je fais 200 repas par semaine, soit un peu moins de trente par jour. Des menus pour le midi ainsi que des formules pour le midi et le soir. Le temps de travail est conséquent (en moyenne 50h par semaine en production et livraison au lieu de 35 à 40h). C’est pour nos aînés, je considère qu’il faut s’en occuper. En revanche, je gagne du temps dans la livraison. Avec le confinement la circulation est plus facile, je gagne entre 30 à 45 minutes par tournée chaque jour, sachant que je fais environ 100 km par jour/tournée.
En livraison, je ne me contente pas de déposer les sacs. Je prends aussi souvent que je le peux le temps pour parler avec les personnes que je livre. Une tournée de livraisons dure environ 3h30. Je stocke mes préparations dans des conteneurs isothermes avec des plaques eutectiques pour maintenir le froid. Les personnes âgées n’ont plus qu’à réchauffer.
Je livre dans un rayon de 15 à 20 km autour de chez moi, essentiellement des personnes âgées qui, du fait du confinement, voient encore moins de personnes qu’à l’accoutumée. Je fais le lien avec les familles en leur donnant des nouvelles de leurs parents par textos, ou par téléphone quand c’est compliqué ou urgent. Pour leur dire par exemple untel est fatigué aujourd’hui, untel je l’ai trouvé moyennement bien aujourd’hui, votre maman était en pleurs, votre papa était tout guilleret. Quand par exemple je vois qu’une mamie n’a pas ouvert sa porte alors que d’habitude elle ouvre, j’alerte la famille qui ensuite me tient au courant de ce qui se passe. Le confinement pèse parfois sur leur moral mais ils tiennent le coup. C’est une belle leçon que nous devons recevoir, nous les plus jeunes.
Christian, artisan cuisinier, société Qualirepas
Propos recueillis et mis en récit par Anne Landais