L’atelier « Écrire mon travail » qui s’est tenu une fois par mois à Paris de novembre à juin 2024 partage avec vous quelques-uns de ses écrits…
Conte du travail
Il était une fois une jeune femme qui voulait travailler dans un cabinet de conseil. Elle avait préparé son entretien pour avoir le poste et le jour où elle a conquis son futur patron, il faisait un grand soleil. Depuis la cale de la péniche où se passait l’entretien, elle voyait la lumière se refléter dans la Seine. Oui, car l’entreprise de conseil qu’elle voulait intégrer avait son siège social sur une péniche. Elle sortait d’une expérience de vente dans le luxe et voulait devenir consultante auprès d’entreprises du même secteur.
Elle avait tellement préparé son entretien qu’elle avait conquis son auditoire de trois consultants. C’était sans compter la nausée qu’elle sentait monter en elle en raison des vagues et de son stress pour un métier dont elle n’avait pas les compétences.
Elle avait séduit, mais serait-elle à la hauteur ? Une petite voix lui disait qu’elle aurait dû écouter son haut-le-cœur et prendre ses jambes à son cou. Elle ne l’avait pas écoutée bien sûr. Il lui fallait le poste, les jeux étaient faits, elle avait dit oui.
Dès son arrivée, elle avait été intégrée dans une équipe de formateurs pour remplacer quelqu’un au pied levé, sans avoir été formée. Elle avait dû quitter la salle en courant, car elle ne se sentait pas bien. Elle était tombée nez à nez avec le président qui l’avait prise à part et l’avait rassurée. Elle allait y arriver, tout le monde était passé par là. Elle était retournée à son poste. Elle avait oublié de dire qu’elle avait besoin d’une formation.
Quelques mois étaient passés, elle avait perdu l’usage de sa voix et ne prenait plus soin d’elle. Elle avait été reçue par une directrice du cabinet qui lui avait dit qu’il fallait qu’elle fasse un effort sinon ils ne la garderaient pas. Aller chez le coiffeur, mieux s’habiller. Elle lui avait donné une mission, aller à Cherbourg animer une formation avec elle, lui avait confié la mallette, il ne fallait pas oublier son ordinateur, elles partaient le lendemain.
Là-bas, au grand air, la jeune femme avait délivré la mission. Un participant l’avait prise de haut, mais elle avait assuré. Loin de la péniche, sur la terre ferme, la mer en vue, elle avait repris des forces. Sa collègue l’avait félicitée, lui avait dit qu’elle avait d’autres missions comme celle-ci. Elle avait accepté. La terre ferme ne lui ferait pas de mal.
Deux années étaient passées, elle avait enchainé les missions, elle était montée en compétences. Dès qu’elle revenait sur la péniche, les haut-le-cœur s’intensifiaient. À son entretien annuel où elle s’attendait à une promotion, le président lui avait annoncé qu’elle devait les quitter, ils ne pouvaient pas la garder. Suite au choc de l’annonce, le médecin lui avait donné un arrêt de travail qui lui avait permis de reprendre des forces. Elle avait décidé de faire un bilan de compétences et de se reconvertir pour le meilleur et pour le pire !
Marie
Scène de travail
Les personnages présents dans la scène :
- La proviseure, une ancienne fille de militaire, la cinquantaine, un grand sens de la rigueur et du service public. Le ton est toujours ferme et assuré.
- Madame X, professeure principale de la classe. Elle donne le la.
- Madame Y, la professeure de maths, timide. Elle suit consciencieusement son cahier de notes.
- Madame M, la professeure d’économie.
- La CPE (conseillère principale d’éducation).
Après un tour de table de l’ensemble des professeurs, la proviseure se lance dans le cas par cas.
La proviseure : Abou Karim 14,6 de moyenne. De bons résultats, qu’en pensez-vous ?
Mme X : il ne participe pas assez. On lui a déjà dit au 1er trimestre. Il ne progresse pas. Il est très scolaire.
La CPE : il manque de maturité.
Mme M : oui, mais il a une bonne moyenne.
La proviseure : « doit fournir des efforts, travaillez davantage. » Benabia Rose, 15,24 de moyenne.
Mme X : oh ! vous avez vu ses résultats en maths ? Une catastrophe ! elle ne fiche rien.
Mme Y timidement : elle fait des efforts…
Mme X : oui, mais ça ne suffit pas. Dans mon cours, elle rigole souvent avec sa camarade.
Mme M : elle a toute de même une bonne moyenne.
La proviseure : « doit faire des efforts et travailler dans toutes les matières. »
30 minutes plus tard.
La proviseure : Zen Émile 7 de moyenne.
Mme X : les résultats sont faibles. Il ne travaille pas.
Madame Y : oui, c’est difficile les maths pour lui, mais il fait des efforts.
La CPE : il est tellement attachant et si sympathique.
La proviseure : il mérite que nous l’encouragions.
Mme M : mais il a une mauvaise moyenne !
Véronique
Lettre à son travail
Cher travail,
Que de sentiments mêlés et contradictoires sont associés à toi : joie, angoisse, colère… Les émotions humaines, la matière première de l’art dramatique. J’ai encore du mal, parfois, à accepter la tempête intérieure qui me saisit pendant certaines répétitions difficiles ou quand je me prépare à rentrer sur scène. Attraction, répulsion… Mes démons me rendent visitent. Je les éloigne comme je peux.
Le théâtre est une passion dévorante et exigeante, mais j’aime par-dessus tout les rituels qu’elle impose : horaires à respecter, texte à lire et relire, entrainement quotidien à l’articulation pour bien s’approprier les mots de l’auteur, nombreuses répétitions pendant lesquelles il convient d’écouter patiemment les indications du metteur-en scène. Puis un jour, le public est là. Il faut l’accueillir et tout donner. Lui faire plaisir, le distraire. Ne pas trop réfléchir et faire les choses honnêtement. Recommencer le lendemain. Petit à petit, une posture s’installe. Une posture professionnelle ?
Cher travail, tu me procures de la joie et des angoisses, tu me rends souvent fébrile. Mais tu m’apprends aussi tant de belles choses. Faire partie d’un collectif, d’une troupe, apprendre l’humilité, le sens du partage. On met son orgueil de côté. Quelle belle école ! Cher travail de comédien, je ne vais pas te lâcher comme cela.
Benoît
Cher Travail,
Depuis qu’on se connait, plus de 40 ans maintenant, tu as bien changé – oui, je sais, moi aussi, mais quand même. Malgré les rides et les raideurs, au fond de moi, il me semble que je suis restée la même, fidèle à mes convictions, mes postures, sinon mes rêves. Mais toi, regarde-toi, ne vois-tu pas ce que tu es devenu ?
Rongé par tes démons, tu t’accroches à tes rituels, tu craques de toutes parts comme une vieille horloge comtoise aux ressorts usés. Tu brises tous les jeunes qui cherchent à t’approcher en cultivant tes attitudes de cerbère, à la fois autoritaire et désorganisé. Ils se brulent à tes injonctions contradictoires, tes tableaux croisés dynamiques qui font perdre tout sens à leur activité. Ne réalises-tu pas qu’ils te fuient inexorablement ?
Et les vieux comme moi, qui ont tout misé sur tes promesses, qui ont donné leurs meilleures années à ton service, que sont-ils devenus ? Ceux qui ne sont pas morts ou malades, ne rêvent plus qu’à la délivrance, comptent et recomptent leurs trimestres, se cachent pour ne pas craquer définitivement.
Ah, où sont-ils ces moments où nous étions complices, fiers d’avancer ensemble à la construction d’un monde meilleur, plus égalitaire, plus juste ? Le progrès qui nous soutenait s’est retourné contre nous, nous a asservis, mais qui s’en soucie ?
Pas toi, hélas, chèvre de levage mise au rencart de l’obsolescence programmée, comme tous les outils symboles des métiers dont on pouvait être fiers. Plus personne ne sait aujourd’hui à quoi tu peux servir.
Travail, je vais te quitter, je suis usée et pourtant, je t’ai tant aimé que je crois que je te regretterai : nos colères, nos fous rires, les découvertes, les rencontres, même les désillusions et les déceptions, forment un tissu serré dont les mailles me tiennent fort.
Sans toi, c’est vrai, que serais-je devenue ? Une ombre solitaire perdue dans ses rêves, flottant entre deux eaux, errant sans but. Tu m’as bien aidée à me construire, à vivre.
Alors, secoue-toi, cher Travail, libère-toi de ce carcan, redonne-nous envie de te rejoindre pour le meilleur et pour le pire !
Myriam
Ce n’était pas prévu…
Le conférencier était très flatté que le responsable de formation le sollicite pour présenter un exposé sur un thème qui lui tenait à cœur, devant un public tout acquis à sa cause. Certes, le responsable de formation, fort dépourvu, ne pouvait lui assurer que le défraiement de son voyage. Mais il lui promettait beaucoup de reconnaissance s’il acceptait la proposition. Appréciant vivement la coopérative que représentait le conférencier, il lui fit miroiter l’opportunité qui se présentait à lui de raconter son travail à des personnes qui sauraient lui accorder toute la considération qu’il méritait. Et puis, s’il apportait quelques livres parmi les productions coopératives, sans doute pourrait-il en vendre quelques-uns, et ainsi ne pas repartir les poches vides.
Le conférencier ne se fit pas prier davantage. C’est entendu, vous pouvez compter sur moi. Le conférencier proposa un titre, le responsable de formation ravi acquiesça sans discussion, et rendez-vous fut pris pour la journée d’étude, deux mois plus tard.
À son retour de vacances de fin d’année, pause bien méritée et distrayante, le conférencier, consultant son agenda, réalisa qu’il était attendu quelque part en Bourgogne en fin de semaine pour tenir sa promesse. Mince, j’avais oublié ce truc. Bigre, quand est-ce que je vais préparer quelque chose ? En plus, je me suis encore fait avoir à devoir trouver des trucs intelligents à dire, à passer une journée à deux heures de train de Paris, et tout ça pour les beaux yeux d’un responsable de formation… Ce n’est plus du bénévolat, c’est un sacerdoce ! Bon, je vais me mettre en service minimum. Le conférencier, prétendant à un certain professionnalisme, grappilla tout de même quelques heures pour cogiter à ce qu’il allait bien pouvoir dire, gribouilla sur son carnet quelques idées qui tiennent la route. Se laissant prendre au jeu, il reprit tout cela le lendemain, pour ébaucher un exposé qui lui semblait prendre une certaine allure. La veille au soir, il se rappela même avoir déjà écrit sur cette histoire, retrouva un texte qui complétait tout à fait le propos. Bon, il n’y aurait pas de diaporama, mais il saurait bien peaufiner son intervention en direct, raconter son histoire avec suffisamment d’entrain, à l’ancienne, pour que ça passe. Plus qu’à préparer quelques affaires : choisir des livres à vendre, suffisamment pour proposer de la diversité, ne pas rater une vente, mais pas trop pour pouvoir les transporter à vélo et en train. Et puis les cartes de visite, quelques plaquettes. Bon, il est tard, et le train part aux aurores. Le conférencier alla se coucher plutôt serein.
Le train est à l’heure, tout va bien. Un train tout beau tout neuf, un wagon très calme, parfait. Le cadre idéal pour reprendre les notes, les mémoriser, se refaire la conférence dans sa tête.
Mince, mon carnet !
Il est resté sur le bureau…
J’ai l’air fin.
Je fais quoi maintenant ?
Se faire confiance ? Laisser remonter les cogitations ? Reprendre tout à zéro ? Improviser ?…
Le lendemain matin, le conférencier retrouva son carnet bien à sa place sur son bureau. Voyons voir… Bon, c’était beaucoup moins bien !
Patrice
Stylistique magique
Il y a fort longtemps dans une grande ville bruyante et sombre vivait, au tout dernier étage d’une tour immense, une jeune fille qui s’appelait Catherine. C’était une jeune fille ordinaire, cheveux bruns coupés au carré, yeux brun-vert et taille moyenne. Catherine profitait de la vie avec ses parents et ses sœurs. Elle aimait lire, sortir, se cultiver, bavarder avec ses amis. Bref, rien de très exceptionnel. Catherine était une jeune fille ordinaire.
Étudiante en lettres modernes, Catherine se rendait de temps en temps à l’université. Catherine butinait plus qu’elle n’étudiait, faisait souvent l’école buissonnière, appréciait par-dessus tout la liberté que lui offrait l’université. Chaque année, Catherine passait ses examens, réussissait souvent, ratait parfois, notamment les examens de grammaire et de stylistique. Et cette année-là d’ailleurs, il ne lui restait plus qu’une épreuve de stylistique pour valider sa licence.
Catherine détestait la stylistique et par-dessus tout détestait Monsieur Basile, le professeur de stylistique. Elle avait d’ailleurs renoncé à aller aux cours depuis longtemps, elle avait compris que ce professeur, aux yeux aussi noirs que ses cheveux et à la voix tonitruante, ne l’aimait pas. Catherine savait bien que son dilettantisme n’était pas la bonne attitude, mais elle se disait « on verra bien, si ce n’est pas pour cette année, ce sera l’année prochaine, sûre je m’y mettrais, avec un autre professeur, oui j’y arriverais, plus tard… ».
Un jour, alors que Catherine était en train de siroter un lait fraise à la terrasse d’un café situé juste en face de l’université avec deux amis, Rémi a surgi. Rémi, c’est le gars qu’on a jamais envie de rencontrer. Il est bavard, vantard et fout le cafard. Il a une voix pincée, des vêtements boudinés et un sourire carnassier. Ce jour-là, toujours porteur de mauvaises nouvelles, il s’exclame : « Tu sais quoi, je reviens du secrétariat et ils m’ont dit que ceux qui ne valident pas leur licence cette année sont radiés. Alors toi si tu ne veux pas être radiée, t’as intérêt à réussir ton examen de stylistique ! »
Coup de panique ! En un instant, le joli ciel bleu de cette fin de printemps s’assombrit, un froid fait frissonner Catherine, l’environnement familier devient hostile, même le lait fraise semble changer de couleur. Sur la façade de l’université, l’horloge devient menaçante, la trotteuse semble courir plus vitre que d’habitude. Et sur un panneau publicitaire s’affiche en lettres géantes, la date du 15 juin, jour de ce foutu et redouté examen.
Catherine range ses affaires à la hâte, traverse précipitamment le boulevard pour attraper le bus. Elle compte les jours qui la séparent du 15 juin. 3 semaines ! 3 petites semaines pour avaler un programme incompréhensible. 21 jours pour emmagasiner les 200 pages du manuel de stylistique. Quelques centaines d’heures pour assimiler des centaines de règles de grammaire. Mission impossible ! Radiée… le mot tourne en boucle. Radiée semblent murmurer les passants. Radiée semble lui chuchoter également le feu rouge. Radiée, radiée, radiée.
La mort dans l’âme, Catherine rentre chez elle. Alors qu’elle s’apprête à gravir les marches de l’escalier surgit Béatrice. Béa ! La bonne copine Béa. Béa a les yeux bleus et un sourire chaleureux. Béa a la voix douce et une jolie frimousse. Béa est brillante, intelligente et jamais ne se vante. Catherine a connu Béa en 1re année de fac, l’a perdue de vue depuis… mais aujourd’hui Béa est là, devant elle, son livre de stylistique sous le bras.
À y regarder de plus près, il n’a pas l’air aussi gros que cela ce bouquin, il semble même vraiment petit. Et le sourire de Béa suffisamment engageant pour que Catherine ose lui demande si elles pourraient préparer ensemble l’examen du 15 juin
« Bien sûr », répond Béa, « travailler ensemble sera bien plus sympa ».
Chaque matin, Catherine, le cœur léger a donc retrouvé Béa à la bibliothèque. Ensemble, elles ont surmonté les mystères des métaphores, posé un nom sur chaque figure de style, décortiqué les particularités de la langue française.
Le 15 juin, Catherine était prête. Quand elle a découvert le sujet, elle a esquissé un petit sourire. C’est bon, ça va le faire ! Le stylo glissait, les idées s’enchainaient, l’avenir s’éclaircissait.
Catherine