Des récits du travail

Chasse au trésor

Carole Begatti, directrice du tourisme et du patrimoine

Un jour, ma collègue chargée des locaux loués par la Ville aux particuliers m’appelle : « Je dois faire l’état des lieux d’un garage qui va changer de locataire. Au fond de la pièce, j’ai vu de grandes caisses sur lesquelles est écrit “Vitraux”. Si ça ne t’embête pas, je veux bien que tu viennes voir. Comme il y a trente ans que la dame loue ce local, il est probable que personne ne se soucie plus de quoi il s’agit. » J’ai trouvé qu’elle avait eu un bon réflexe : il est tentant de laisser les vieilles choses dans un coin sans se poser de questions. Il me faut donc vérifier si le contenu de ces caisses a de la valeur. J’y vais une première fois toute seule.

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J’ai mis des gants pour ne pas me blesser, mais aussi parce que le plomb des vitraux est potentiellement toxique. Je soulève une lourde couverture poussiéreuse sous laquelle se trouvent des palettes et des caisses avec des morceaux de verre coloré. Je pense tout de suite aux anciens vitraux de notre église Saint-Martin et je sens immédiatement monter une petite excitation. Avec le château, l’église Saint-Martin est le deuxième joyau de la commune. Les premières fondations datent du XIe et elle est classée à l’Inventaire des Monuments historiques. Sa particularité est d’avoir brulé dans les années 1970 : la charpente a pris feu lors d’une restauration et l’incendie a beaucoup marqué les esprits. Or je constate que certains morceaux de verre que je manipule sont noircis et que le plomb a fondu. Il y a de fortes chances que ces vitraux viennent de l’église Saint-Martin et aient été mis à l’abri à la suite du sinistre. Peut-être ont-ils de la valeur ? Il faut vérifier s’ils ont été réalisés par des artistes reconnus et s’ils sont répertoriés…

Je prends contact avec le conservateur départemental du patrimoine, avec qui j’ai travaillé déjà pour la restauration d’objets protégés. Il me conseille de mettre de côté les caisses afin d’examiner leur contenu. J’installe des tables dans un local assez vaste et j’organise le déménagement. Les collègues des services techniques peinent à soulever les caisses qui sont extrêmement lourdes. J’ai proposé à deux artistes de la commune d’être présents lors de la visite du conservateur, car ils sont eux-mêmes vitraillistes. Le conservateur arrive avec son appareil photo et nous passons une matinée à sortir les pièces. Nous les manipulons, avec beaucoup de précautions, car une grande partie d’entre elles est détériorée. Nous les étalons sur les tables et même sur le sol, car il y en a beaucoup ! Nous prenons tout en photo méthodiquement et presque religieusement. Ensuite commence le travail de recherche : il s’agit de comparer nos photos avec les clichés de l’église avant 1973, afin de voir à quel endroit se trouvait chacun des vitraux et s’ils étaient eux-mêmes classés « monument historique ». Nous devons avoir l’air un peu fous à nous extasier devant des bouts de verre tout brulés, à regarder les couleurs, les compositions des dessins, à chercher à reconstituer le puzzle de chaque vitrail… Comme des enfants qui s’imaginent avoir trouvé un trésor !

En fait, pas du tout. Nous nous sommes aperçus assez vite que les vitraux avaient déjà été remplacés après la guerre. Ils n’avaient pas de valeur particulière, et il n’y avait pas de raison de les conserver. J’ai tout de même mis de côté la partie pour laquelle je n’avais pas de garantie.

Les vitraux en mauvais état ne peuvent être laissé en déchetterie comme le verre ordinaire. Il faut soit les réutiliser pour d’autres vitraux, soit les faire incinérer. Les vitraillistes ont proposé de réaliser le travail de séparation du verre et du plomb et d’organiser le recyclage. Le plomb a pu être revendu de son côté.

Malgré la petite déception finale, cette expérience m’a intéressée par son côté « chasse au trésor ». Le travail de recherche m’a permis de me rapprocher de notre historien local. Il a écrit plusieurs livres sur la commune et fait parfois des visites guidées. Il a vu l’église bruler et il connait le nom des artistes qui sont intervenus sur nos monuments. Je me souviens d’avoir écrit au conservateur, personne très érudite : « Je crois que vous m’avez refilé le virus et celui-là, je veux bien l’avoir ! » (c’était au début de la pandémie de Covid) J’ai eu l’impression de toucher du doigt ce qui fait le moteur de tous ces passionnés d’histoire. Mais au niveau de la mairie, je suis la seule à m’être enthousiasmée. Ces sujets sont très éloignés des préoccupations de mes collègues. Moi je me dis que ces vitraux, même pas si anciens que ça, ne sont pas de vieilles choses sans importance, dont on pourrait se débarrasser comme d’un truc en plastique fabriqué en usine. Je leur trouve un aspect « sacré », qui oblige à changer de regard sur eux, à en prendre soin comme d’objets qui ont une histoire. Ils ont été conçus et fabriqués par des gens qui avaient un vrai savoir-faire. Vitrailliste, c’est un métier d’art ! J’ai vécu cette redécouverte comme une petite aventure du quotidien.

Propos recueillis et mis en récit par Agnès Berthe