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Récits de femmes au feu du travail

C’est le métier qui me convient, que j’aime, passionnément, que j’ai voulu, comme une vocation. Parfois c’est dur, il y a des moments difficiles, comme partout, mais je vais y arriver. J’entends parler de souffrances au travail, de « burn-out, » mais c’est les autres, pas moi, moi je sais où j’en suis, ce dont je suis capable, je serre les dents et ça ira. Aujourd’hui j’ai pris un coup, mais demain j’y retourne. Je continue à voler dans le ciel, toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus près du soleil

Jusqu’au jour où…

Jusqu’au jour où c’est le corps qui lâche, qui ne suit plus, qui dit stop. Et le corps a raison. Il dit stop, après avoir beaucoup encaissé. Pourquoi moi, pourquoi ce jour-là ? À qui la faute ? La charge de travail, l’acharnement au-delà du raisonnable, une organisation qui dysfonctionne, des confrontations interpersonnelles, la fuite en avant ? Tout cela bien sûr. Beaucoup de raisons qui peuvent être saisies après coup, qui aident à comprendre, qui permettent d’envisager d’autres possibles. Et puis la phrase de trop, l’incident de trop, et tout s’arrête.

Sept récits dans ce livre : autant de parcours singuliers, avec en commun une implication passionnée dans le travail, jusqu’à trop s’approcher du soleil.

Sept contextes professionnels, car la souffrance au travail, jusqu’à l’épuisement, peut survenir quel que soit le métier, le type d’organisation, peut briser une débutante enthousiaste comme une professionnelle expérimentée.

Sept femmes, qui se sont rencontrées au hasard d’un atelier animé par des assistantes sociales, qui ont pris la parole, puis la plume pour échanger leurs vécus, se soutenir, puis reprendre le chemin d’un travail collectif : écrire un livre.

Sept textes, parce qu’elles ont voulu témoigner, prévenir les autres, dire leur conviction : écouter son corps, prendre soin de soi.

Anne-Marie, Corinne, Emma, Héloïse, Lucie, Sarah, Valérie
Préface de Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale
Avant-propos de Chloé Duval et Marylène Nicolle, Carsat de Normandie
Éditions Dire Le Travail, 2021




Présentation des auteures

Anne-Marie, 56 ans, travaillait dans la maintenance informatique.

Lucie, 34 ans, a été infirmière, ayant surtout exercé en EHPAD.

Sarah, 31 ans, a été costumière dans une compagnie de danse.

Emma, 46 ans, a été conseillère clientèle dans des agences bancaires.

Corinne, 56 ans, a été chercheure en sciences humaines.

Héloïse, 33 ans, a été assistante de gestion, avec des expériences professionnelles d’assistante commerciale.

Valérie, 52 ans, infirmière depuis 1988, avait pris des responsabilités dans un EHPAD.

Sommaire

Perdre le contrôle

Un logiciel informatique complexe qui devient usine à gaz au fil des ans ; une organisation du travail qui se délite au même rythme, jusqu’à laisser chacun s’épuiser à colmater les brèches : de quoi faire craquer une professionnelle acharnée du travail et du service rendu au client.

Nul n’est irremplaçable

Quel beau métier que celui d’infirmière : en toutes circonstances, d’abord faire du bien à autrui. Même quand la liste des tâches devient un pensum. Même quand l’obligation de suivre les protocoles et de rendre compte de chaque acte prend le pas sur les relations avec les patients. Même quand les sollicitations administratives envahissent le quotidien. Même au risque de se faire mal, jusqu’à ne plus pouvoir.

Quand les coutures craquent

Concevoir et fabriquer des costumes pour des danseurs : un métier dévorant, sous la pression de la répétition générale qui arrive toujours trop vite ; un métier indispensable, mais dans l’ombre des coulisses ; un métier précieux, qui devient ravageur quand il bute sur l’indifférence, les caprices, le mépris des stars du spectacle.

Un bon petit soldat

D’abord conseiller les clients ? Ou surtout leur placer les produits bancaires, et puis même des assurances ? Leur rendre service au mieux, alors qu’ils deviennent des consommateurs de plus en plus exigeants ? Ou tenir à tout prix les objectifs chiffrés des plans d’action de la hiérarchie ? Puis s’entendre dire au bout de vingt-six ans d’activité qu’il est temps de « faire ses preuves »…

Jusqu’ici tout va bien

Que se passe-t-il quand on a toujours suivi une trajectoire professionnelle ascendante, jusqu’à la thèse et la responsabilité d’une équipe de recherches en sciences humaines, et que votre employeur vous fait basculer vers le déclin comme s’il vous poussait dans le vide ? À chaque nouvelle étape de la chute, on se demande dans quel état on va atterrir.

Du rire aux larmes

« Tu veux bien faire ça aussi ? » « J’ai pensé à toi pour ce projet ! » Le bonheur d’obtenir enfin un CDI, d’intégrer un service avec des collègues sympathiques et un chef bienveillant. La culpabilité de ne pas réussir à remplir la feuille de route, qui s’allonge de semaine en semaine. Jusqu’à l’overdose du travail.

Chemin de croix

Prendre des responsabilités : c’est tentant pour rendre service autrement à ses collègues infirmières de son EHPAD ; ça semble naturel en fin de carrière, et il faut bien que quelqu’un s’en occupe. Mais c’est périlleux quand on se retrouve pris dans des logiques administratives et des jeux de pouvoir sans merci.

Un livre pour se reconstruire

À l’origine de ce livre, une initiative d’une CARSAT : des groupes d’échange et d’expression pour des personnes victimes de « burn-outs », en complément d’une prise en charge individuelle, dans la conviction que « le collectif permet de mettre en avant des points communs et contribue à se sentir moins seul et isolé ».

L’objectif a été si bien rempli qu’à l’issue de cette intervention sociale de groupe, les sept participantes ont décidé d’écrire ce livre : « Nous avons continué à nous réunir régulièrement pour que chacune d’entre nous raconte son histoire aux autres et que nous puissions ensuite passer à l’écriture. »

Écrire un récit, c’est s’engager dans la reconstruction d’un parcours, rechercher par l’écriture une certaine cohérence, une certaine logique à ce qui s’est passé. C’est aussi un élément de la reconstruction de soi, par la parole adressée aux autres, à des pairs et à des lecteurs. Là où chacune a progressivement subi une forme d’isolement face aux difficultés dans son travail, sans trouver de soutien dans un collectif, l’élaboration de ce livre a bien été une œuvre collective : chacune a écouté, stimulé, accompagné l’écriture des autres. Par cette activité, elles ont trouvé un chemin commun pour surmonter leur épreuve individuelle : plus fortes, malgré tout.

Saisir par le récit la réalité de situations d’épuisement professionnel

Pourquoi des personnes passionnées par leur travail se retrouvent-elles à parcourir un tel chemin de croix ? Les récits de ce livre sont porteurs de bien des éléments de réponse.

Ils proposent au lecteur une immersion dans la complexité des situations, la subtilité des parcours : une affaire personnelle, bien sûr, avec les forces et faiblesses de chacune, mais aussi un symptôme de pathologies organisationnelles, sociales.

Ils ne prétendent pas à l’explication rationnelle, prennent en charge la dimension émotionnelle des situations : tout n’est pas à comprendre, c’est là, dans les corps, il faut en faire quelque chose.

Ils bousculent les représentations : les auteures elles-mêmes, avant d’en vivre l’épreuve, ont pu se contenter de penser que ce que vivaient d’autres relevait de l’exagération, du manque de maitrise de soi, d’une faiblesse personnelle, et que jamais ça ne pourrait leur arriver à elles…

Ces récits nous concernent donc tous, d’abord parce que ça peut être nous, ou nos proches, ensuite parce que nous pouvons avoir affaire, en tant que collègues ou en tant que destinataires du produit ou du service, à ces organisations du travail qui dysfonctionnent. Une travailleuse qui souffre, c’est aussi le travail qui est abimé.

Les victimes de « burn-out » ne sont pas la queue de peloton du monde du travail, celles et ceux qui échouent dans une voiture-balai. Ce sont au contraire les échappé·es du travail : celles et ceux qui se sont exposé·es au plein vent, et qui s’y sont épuisé·es.