Dire le travail en temps de confinement

Wie sagt man « télétravail » auf Deutsch ?

Marie-Pierre est professeure d’allemand en collège, lycée et IUT. Passer d’un enseignement en classe, en présence des élèves, à un enseignement depuis la maison, en présence de toute une famille au travail, pas simple !

C’était un jeudi soir, je sortais d’un conseil de classe. Le proviseur nous avait laissé entendre que les établissements scolaires allaient sans doute fermer, surement d’ici une quinzaine de jours. En fait, j’ai appris que le Premier ministre venait d’annoncer la fermeture des écoles dès le lundi suivant. Cette décision rapide et brutale m’a stupéfaite. Par contre, le sourire sur le visage de mes filles lycéennes trahissait leur joie intérieure : une prolongation des vacances que nous venions à peine de quitter les réjouissait. Mais ce confinement n’était en aucun cas des vacances ! Cette phrase, j’ai dû la marteler toute la journée du vendredi, conseillant à mes étudiants, mes lycéens et mes collégiens de garder un rythme de période scolaire : « on se couche pas trop tard, on se lève pas trop tard ». « Trop pas, Madame ».

Je me suis mis alors au travail : trouver une nouvelle organisation, découvrir de nouveaux outils, chercher une autre façon de communiquer. Je savais que rentrer en communication avec mes étudiants et mes lycéens serait simple. Nous fonctionnons au lycée avec Google education. Les « drive », « docs », « classroom » et autres applications de cet outil leur sont familiers. En revanche, communiquer avec mes collégiens allait s’avérer plus compliqué. Un élève de 3e m’avait avoué qu’il ne savait pas envoyer un mail : il faudrait que je lui envoie un Snap pour lui donner le travail à faire.

La première semaine fut donc consacrée à des considérations pratiques : comment entrer en contact, formuler au mieux ce que j’attends d’eux, me former aux différents outils de communication virtuelle. Le virtuel qui devait devenir réel. Mon sommeil en a beaucoup pâti et il en pâtit encore, mon cerveau réfléchissant sans cesse à de nouvelles idées, à des améliorations, aux mails que je dois envoyer, aux capsules que je dois enregistrer pour mes collégiens.

Il a fallu également trouver une organisation familiale. Mon conjoint lui aussi en télétravail établit son bureau dans la chambre de notre ainée. Nous avons habituellement un bureau commun, mais il est impossible à présent que nous travaillions dans la même pièce : je suis en visio avec mes élèves et lui en réunion via Skype une partie de la journée. Hors de question de travailler en open space ! Notre ainée étudiante choisit la cuisine pour travailler, nos deux lycéennes s’installent sur la grande table de la salle à manger, le wifi ne fonctionnant pas très bien dans les chambres. Une maison qui était auparavant un endroit refuge, uniquement centrée sur la vie privée, devient un QG, un bureau géant. Nous devenons collègues de travail et on se retrouve devant la bouilloire à thé lors des pauses. Parfois, tellement accaparés par nos écrans, nous réalisons que nous nous voyons uniquement pour les repas.

Les deux premières semaines furent éprouvantes. J’avais le sentiment de ne jamais décrocher, d’être toujours en alerte, à guetter les mails et les devoirs rendus des élèves, les demandes de conseils, des appels à l’aide.

Après trois semaines de télétravail, j’ai encore des collégiens qui ne donnent pas de nouvelles. Certains sont désorganisés, perdus dans la masse de documents reçus par mail. Je fais de mon mieux, mais cela n’est pas satisfaisant. J’ai l’impression de laisser des élèves sur le côté.

Des questions restent en suspens : comment passer de ma pratique en classe, un enseignement ludique où je laisse une grande place à l’oral, à la manipulation, au travail en groupe, à la classe virtuelle où des élèves n’osent pas prendre la parole, d’autres préfèrent garder le micro coupé, car ils sont dans la pièce de vie et ne veulent pas parler devant leur famille, d’autres encore sont là virtuellement, mais s’amusent avec leur téléphone en envoyant des Snap à leurs copains. Apparemment j’ai encore quelques semaines et quelques nuits écourtées pour y réfléchir… Affaire à suivre.

Marie-Pierre, professeure d’allemand

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