Dire le travail en temps de confinement

Un vrai chantier

Candice a 36 ans. Elle est professeure de musique en collège. Elle vit avec son conjoint et ses deux petits garçons, âgés respectivement de 6 ans et demi et 2 ans et demi, dans une maison individuelle avec jardin de la banlieue d’une ville de taille moyenne.

Jeudi 19 mars, troisième jour du confinement

Je ne peux travailler pour mes élèves que lorsque les enfants sont occupés ou quand ils sont couchés, c’est-à-dire à partir de 20 h 30. Comme j’ai chaque classe une heure par semaine, je dois envoyer à chaque élève le travail de la semaine et, la semaine suivante, corriger ses exercices puis lui en renvoyer de nouveaux. Je passe beaucoup de temps sur mon ordinateur portable pour leur transmettre les documents et répondre à leurs questions. Par ailleurs, je suis chargée de suivre plus particulièrement dix élèves dont je suis professeure principale : je dois les appeler une fois par semaine pour prendre de leurs nouvelles, m’assurer que les enfants et leurs parents vont bien et, le cas échéant, signaler les problèmes à ma hiérarchie. C’est une fonction nouvelle pour moi. J’ignore s’il s’agit d’une consigne générale ou si c’est ma cheffe d’établissement qui en a pris l’initiative.

Les principales difficultés sont de deux ordres : tout d’abord, je suis régulièrement interrompue par les enfants ; ensuite, la plateforme sur laquelle je dois travailler rencontre en permanence des problèmes de connexion. Elle manque de fluidité et je dois parfois attendre très longtemps pour pouvoir transmettre un simple document. Il est vrai que j’aurais dû connaitre cette plateforme auparavant et que je manque un peu de compétences en informatique. Mais elle montre ses limites et je ne pense pas que je continuerai à l’utiliser quand la situation sera redevenue normale.

La situation m’oblige à trouver des stratégies pédagogiques. Comme je ne peux pas expliquer les consignes aux élèves, j’ai tendance à simplifier. J’ai repéré sur internet un site qui permet de créer des grilles de mots croisés. J’en ai préparé une sur le jazz pour réviser les notions étudiées en classe. Ce support-là, je pense que je le reprendrai au-delà du confinement.

J’ai régulièrement des échanges avec ma principale, qui nous envoie des mails très bienveillants. J’ai aussi des contacts avec mes collègues de travail avec lesquels j’ai créé un groupe sur l’application Whatsapp. On échange sur des sujets sérieux, mais aussi sur des choses plus personnelles. J’ai raconté par exemple qu’Axel n’avait rien trouvé de mieux que de se mettre dans le nez les lettres avec lesquelles il joue dans son bain et aussi de faire caca sur le parquet de la chambre de son grand frère…

J’ai beaucoup plus de travail domestique à effectuer que d’ordinaire, car les enfants sont là en permanence, entrent et sortent dans la maison depuis le jardin et comme on a tondu la pelouse, il y a de l’humidité… La maison est un vrai chantier, je passe mon temps à passer derrière eux pour ramasser les papiers, les jouets… Je n’ai pas encore établi de nouvelles règles de discipline, mais peut-être qu’il faudrait que je me pose à nouveau cette question si le confinement se prolonge !

La nouveauté, c’est le travail scolaire de Raphaël. Il n’a pas toujours envie de s’y mettre. On a travaillé un peu ce matin, entre 8 h 30 et 9 h 30. Ensuite, il a demandé une pause de cinq minutes et il est allé chercher un livre. On a repris les activités scolaires vers 14 h. En tout, il a fait environ une heure quarante-cinq de travail aujourd’hui. Je pense que c’est une bonne idée de faire comme ça parce qu’il était vraiment concentré sur sa tâche. Alors que si j’avais persisté, il aurait décroché. Et puis, je suis sa maman, et pas sa maitresse. Avec elle, il n’a pas le choix. Et il est parmi ses petits copains, qui travaillent aussi, c’est sérieux.

Les consignes de l’école nous ont été communiquées mardi après-midi. Nous avons été convoqués entre 15 h et 17 h, le premier jour du confinement. L’équivalent du travail de quinze jours nous a été remis, essentiellement en lecture, écriture et accessoirement en éducation civique. Mais l’intensité du travail reste au bon vouloir des parents. Nous ne sommes pas obligés de faire travailler nos enfants tous les jours.

Je ne me sens pas très impactée par le confinement des autres travailleurs par rapport à certaines personnes dont les examens de santé sont reportés. Nous sommes juste concernés par deux choses : les lunettes de Raphaël, que nous devions aller récupérer chez l’opticien, devront attendre et, par ailleurs, nos vacances de printemps risquent d’être compromises.

Au début du confinement, je pensais que les mesures prises étaient un peu surdimensionnées, mais désormais, je suis fataliste. J’ai consulté de nombreux médias, internet, télévision, et des sources sérieuses, en particulier venant des médecins. Ça ne m’a pas fait flipper parce que je ne pense pas être une personne à risque, mais je tiens à respecter les règles. J’ai trouvé le président Macron plutôt bien positionné quand il a dit : « quoi qu’il en coute, il faut se protéger ». En revanche, l’attitude de l’employeur de mon conjoint est incompréhensible. Les salariés sont proches les uns des autres dans l’atelier. Certains se sont mis en arrêts-maladie, mais lui trouve inacceptable que ce soit la Sécu qui paye et pas son entreprise. Du coup, il reste au travail, mais à un poste dont il n’avait pas envie.

Candice, professeure de musique en collège
Propos recueillis et mis en forme par Corinne Le Bars

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