Dire le travail en temps de confinement

Quand on est bien, ce qu’on fait est bien aussi

Astou est conseillère formation dans un organisme mettant en œuvre la politique de formation (ingénierie pédagogique et ingénierie de formation) et accompagnant les montées en compétence des équipes pédagogiques d’un réseau de centres de formation d’apprentis. Elle travaillait habituellement dans les bureaux de son employeur, en région parisienne, avec une journée de télétravail hebdomadaire depuis un an. Depuis le début du confinement, elle est en permanence en télétravail.
Après avoir présenté son travail confiné dans un précédent récit, elle évoque à présent la perspective du déconfinement. Ce texte a été rédigé à partir d’un entretien réalisé le jeudi 7 mai.

Jusqu’avant le printemps dernier, les discussions sur le télétravail revenaient régulièrement avec mes collègues conseillers travaillant au siège de l’organisme. Beaucoup d’entre eux, et moi la première, étions favorables à cette modalité de travail : une grande partie de nos missions peuvent s’effectuer à distance, et elle nous économiserait du temps de transport. Mais c’était un sujet délicat avec la direction. J’émets l’hypothèse que leurs préoccupations pouvaient porter sur la qualité du travail : est-ce qu’on travaillera aussi bien chez soi qu’au bureau, en présence des collègues ?

Aujourd’hui, le contexte a de fait beaucoup évolué ! À ce stade, je suis reconnaissante à notre direction des ressources humaines de s’être préoccupée de la situation des employés pour le déconfinement. Elle a mis en place un dispositif d’information sur des incidences et répercussions du confinement. Nous avons été conviés à un webinaire de deux heures sur le thème de la résilience en temps de Covid, animé par un prestataire extérieur. On nous a égaleent proposé des échanges individuels avec un psychologue du travail à partir d’un numéro vert, dans une démarche personnelle et confidentielle. Je sais aussi qu’elle est en relation avec les représentants du personnel dans cette optique de préparation du retour au bureau. Ceux-ci ont sollicité notre avis, de façon un peu générale, mais c’est déjà ça. Il faut dire qu’il y a beaucoup d’incertitudes : à ce jour, nous n’avons pas encore de date pour le retour officiel au bureau. J’ai continuellement des échanges avec le responsable de mon pôle d’activité, et concernant le déconfinement, lui-même a remonté ses premières propositions à la direction. Il estime que nos missions de conseiller formation ne rendent pas notre présence sur le site indispensable, et nous ne serons sans doute pas les premiers concernés à revenir.

Personnellement, je souhaiterais d’abord que l’on constate tout le travail effectué pendant le confinement afin d’engager un réel échange avec chacun pour en tirer des enseignements en termes de performance professionnelle et personnelle. Tous nos déplacements ont été annulés, bien sûr, ou plus exactement reportés à la rentrée. J’ai beaucoup apprécié cette décision qui a permis de limiter le stress pendant le confinement pour nous-mêmes comme pour les équipes des CFA où nous nous rendons régulièrement. Elles ont déjà assez à faire pour reprendre progressivement leurs activités. Là, nous avons tous le temps de faire le bilan et de voir venir les choses pour préparer la suite. Mais pour le reste, nous avons pu avancer les dossiers, réaliser un travail de qualité. Aucune mission en cours n’a été impossible à gérer (exceptées les missions de jurys et du dispositif d’accompagnement de montée en compétence des formateurs), même des rendez-vous ont pu être assumés en visioconférence moyennant quelques ajustements.

Si j’avais le choix aujourd’hui, je souhaiterais disposer d’au moins deux, voire trois journées de télétravail, quitte par exemple à ce que la troisième journée soit modulable, plus occasionnelle. J’estime que les deux tiers de mes activités, de l’ordre de la recherche, de l’analyse, de la conception, gagnent à se faire dans un moment et un lieu calme, où je peux me consacrer pleinement à un dossier à la fois. Je constate que j’ai pu travailler avec sérénité en économisant les temps de transport. Je suis déjà dans l’appréhension de reprendre le train et le RER bondé, surtout dans ce contexte particulier de pandémie. Quand on est bien, ce qu’on fait est bien aussi. Je pense que nous profiterions d’autant plus de la présence au bureau le temps restant, dans ce qu’elle peut avoir d’indispensable : les échanges avec les collègues, tout ce qui peut s’enclencher de façon plus ou moins informelle quand on passe des journées sur le même site. Nous ne sommes pas sur des postes qui nécessitent une présence permanente, et de fait une part importante de nos missions consistent à analyser, rechercher des axes de réponse, proposer, concevoir, mettre à disposition, accompagner la mise en œuvre et se déplacer auprès des équipes dans les CFA.

Tout cela a une dimension personnelle, bien sûr, et il faut trouver le meilleur moyen d’ajuster ce qui convient à chacun, dans l’intérêt collectif. Dans mon parcours professionnel, j’ai eu l’occasion à diverses reprises d’organiser mon propre travail d’une part, de travailler beaucoup à distance d’autre part, et donc j’ai l’habitude de circuler entre les espaces, de mener mon travail de façon un peu nomade.

Au-delà de cette grande secousse du confinement, il est intéressant de resituer tout cela sur le temps long. Je crois que j’ai eu les ressources pour bien m’en sortir. Je pense qu’à présent, il est possible de trouver un bon équilibre entre ce qui peut se faire confortablement à son domicile, et ce qui nécessite effectivement un déplacement dans un lieu de travail collectif. Il faut arrêter de penser que la seule solution est forcément de découper notre disponibilité et notre personne en tranches étanches entre le lieu de travail et les autres lieux de vie. Bien entendu, je n’ignore pas la dimension personnelle : autant de besoins que de personne. Ce dont tout le monde a besoin, c’est de confiance et d’écoute pour trouver un terrain de performance pour le développement de l’entreprise et du salarié.

Astou, conseillère formation
Propos recueillis et mis en récit par Patrice Bride

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