Quand le virus informatique traverse la pédagogie

Quand le virus informatique traverse la pédagogie – épisode 2

Mardi 17 mars 2020. Confinement Jour J

Première journée à enchainer les réunions en mode visio. Réunion de service, technique et concrète. On écoute le responsable. Les moyens concrets conséquents du télétravail généralisé sont présentés : point quotidien au tout début de la journée, récapitulatif des outils pédagogiques et agendaires à notre disposition, invitation à concevoir par filière les alternatives pédagogiques sans changer de programme. Les visages sont graves, dans les petites images latérales sur l’écran. L’urgence c’est d’étudier tous les programmes prévus dans les deux semaines à venir. Il va falloir se concerter entre nous. La réunion dure un bon moment. Il nous souhaite bonne journée, et son visage assombri par le contrejour dans sa pièce de travail disparait de l’écran.

Nous sommes entre nous. Ça fuse de tous les côtés. On y va de son commentaire sur le cadre de travail du collègue, on rit, on blague, on ajuste le volume du son. Une sorte de fièvre, avec des coupures de la parole. Il va falloir, à notre tour s’organiser, avec méthode. On est libre, chacun sait ce qui doit être fait, ce qu’il faut d’abord décider ensemble, puisque chacun devra décider seul, et construire ensuite. On parle aussi des outils numériques à notre disposition, on n’est pas tous logés à la même enseigne dans leur maniement. Phase nécessaire d’appropriation, qui prendra place dans les emplois du temps à court terme. On va se tromper, c’est sûr, il faudra être bienveillant. Il est décidé de se retrouver l’après-midi, avec quatre réunions d’une heure en enfilade, pour repérer les besoins et les urgences, pour anticiper les alternatives pédagogiques. D’abord les programmes multifilières, puis, filière par filière, les questions spécifiques.

« Les réunions s’enchainent »

Pause déjeuner avec tour du jardin. Les jonquilles explosent, les jacinthes rosissent. La première fois que je les regarde vraiment en cette fin d’hiver 2020.

Les réunions s’enchainent. Encore beaucoup de choses à redéfinir, à adapter, à modifier. Ma liste s’allonge au fur et à mesure que l’après-midi avance. Ça donne le vertige. Des collègues ont déjà réfléchi, apparemment, à leurs programmes respectifs. On va pouvoir s’entraider. Des idées d’alternatives pédagogiques, pour un programme aussi près que possible de ce qui est prévu. À chaque microréunion, des participants différents, des ponctuels qui chatent leur impatience ou rappellent le retardataire.

Ma liste de choses à faire s’affine et se précise. Je commence à repérer les urgences. Des urgences imprévues qui doivent prendre place dans un emploi du temps, où j’ai déjà des rendez-vous, des lectures réelles ou prévisibles d’écrits d’étudiants. Mon agenda est bouleversé, comme celui de tous les collègues. J’ai beau me dire que c’est un lot commun, ça ne m’aide pas à relativiser la charge imprévue. Je finis cette journée en mode visio avec l’impression d’yeux écarquillés en continu, comme plus grands que les orbites prévues. Je ressens une sorte de vertige intérieur devant la nécessaire vitesse à devoir concevoir les programmes à venir. Le canapé du rez-de-chaussée, que je retrouve beaucoup plus tôt que chaque soir m’accueille, avec sa douceur et avec sa chaleur habituelles.

Laurence, psychosociologue

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