Dire le travail en temps de confinement

Prendre de soin de soi… et du travail !

Astou est conseillère formation dans un organisme mettant en œuvre la politique de formation (ingénierie pédagogique et ingénierie de formation) et accompagnant les montées en compétence des équipes pédagogiques d’un réseau de centres de formation d’apprentis. Elle travaillait habituellement dans les bureaux de son employeur, en région parisienne, avec une journée de télétravail hebdomadaire depuis un an. Depuis le début du confinement, elle est en permanence en télétravail. Récit rédigé à partir d’un entretien réalisé le 30 avril.

Depuis maintenant un mois et demi, mon activité est très soutenue, mais je parviens à tout faire dans une certaine quiétude, en étant moins stressée et fatiguée. L’ensemble de mes dossiers avance, et certains dossiers, qui demandent un travail de conception assez conséquent, avancent même mieux. Ce sont des dossiers que je pilote avec des formateurs du réseau, qui sont moins happés par la gestion du quotidien au CFA (préparation et animation des séances de formation, des réunions pédagogiques, etc.). Ils sont aussi chargés d’assurer autant que possible les formations à distance, ce qui n’a rien d’évident, mais arrivent tout de même à organiser leur temps pour contribuer à nos dossiers communs. Par exemple, je pilote actuellement un groupe de conception de ressources formatives pour Cléa, un dispositif de certification de connaissances et de compétences de base professionnelles. Ce sont des modules avec des enseignements, des exercices, des évaluations formatives et des corrigés, conçus par une équipe de formateurs qui les met ensuite à disposition de tous les CFA. Avant le confinement, nous en étions à douze modules, sept autres étaient à la relecture, qui s’est effectuée plus rapidement qu’en temps habituel. Aujourd’hui dix-neuf modules sont finis, et nous travaillons sur les neuf derniers. Le travail de conception des ressources sera fini le 18 mai, un délai qui aurait été vraiment difficile à tenir en temps normal ! C’est vraiment appréciable d’avoir le temps de pousser une réflexion sur une thématique, d’élaborer le contenu de tous ces modules de façon approfondie.

Je pense que la principale raison de cette plus grande efficience, c’est que je réussis à me concentrer davantage sur la tâche en cours. J’ai l’impression d’être davantage dégagée une certaine pression que je peux ressentir au bureau. Quand je suis là-bas, je dois gérer de multiples, ou bien des mails qui tombent. Je suis convaincue que la sociabilité au bureau est importante, mais je me rends compte que ça amène aussi beaucoup de sollicitations : quelqu’un passe pour donner une information, pour rappeler une demande, une urgence, et tout cela aboutit à des interruptions assez éprouvantes du fait du caractère de mes missions qui sont à la fois de constats, de recherches, d’analyse, de conception et proposition d’axes de réponse et en même temps d’animation. Et c’est un peu la même chose avec les mails. Quand je suis au bureau, je me mets la pression pour y répondre dès réceptions. Ce n’est pas forcément une urgence, mais sur le coup je me dis que ça peut le devenir, qu’il vaut mieux répondre vite, alors qu’en fait toutes ces interruptions empêchent d’être efficiente. On sait bien qu’on met trois à cinq minutes pour se remettre vraiment au travail après avoir été interrompu (ce qu’on appelle la loi de Carlson). En tout cas, je vis avec beaucoup d’intérêt sur un autre rythme de travail à présent. Déjà, il y a moins de messages parce que l’activité est quand même moindre dans les centres de formation d’apprentis. Mais surtout, j’organise mieux ma disponibilité. Je me donne la liberté de me dire que ce mail peut attendre, parce que je suis en train de travailler sur un sujet de fond, et qu’il faut mieux que je m’y consacre pour de bon.

Mes journées sont très organisées, et je profite vraiment de la suppression des temps de transport et d’interruption régulière. Pour mon temps de travail, c’est de 9 h 30 jusqu’à 17 h 30 ou 18 h, avec une heure ou une heure et demie de pause de midi. Ce qui me laisse le temps pour une heure de gymnastique le matin, des activités de chant, ou de lecture le soir. Ça fait des années que je n’arrivais même plus aller dans un club de sport tellement j’étais happée par le travail. La, je peux me compter des plages importantes pour mes loisirs. Certains jours je sors une heure, mais même quand je reste chez moi, je me donne le temps pour des activités qui m’aident à soutenir l’enfermement. C’est aussi une question de caractère. J’ai le contact relationnel facile, j’apprécie beaucoup d’être en compagnie. Mais j’apprécie aussi la solitude, le calme autour de moi. J’ai eu d’autres expériences professionnelles qui impliquaient beaucoup de collaboration à distance. Donc c’est une période qui me va bien. Je profite du temps disponible pour téléphoner à la famille, aux amis, prendre leurs nouvelles. J’appelle d’autres personnes chaque jour, même des personnes que je n’avais pas vues depuis longtemps. J’ai finalement l’impression d’avoir davantage de temps pour discuter, échanger.

J’ai bien conscience aussi que je suis privilégiée par des conditions de logements qui sont corrects, du fait que je n’ai pas d’enfants en bas âge. Je pense à tous ceux qui vivent dans des petits appartements, qui doivent continuer à travailler tout en gérant la scolarisation de leurs enfants. Je ne peux pas ne pas avoir une pensée pour ces personnes-là. Je me suis rendu compte rapidement que le confinement pouvait être une bonne chose pour moi, dans mon rapport au travail, mais j’ai aussi réalisé que c’était un moment de séparations et de souffrances difficile pour beaucoup d’autres personnes. Je me suis demandé ce que je pouvais faire, comment je pouvais être utile pour celles et ceux qui se retrouvent en situation de fragilité. Mon idée, ça a été de coudre des masques pour les offrir. J’ai une grande malle de tissu, j’aime bien acheter des tissus dans mes voyages. Alors j’ai commencé à coudre, à la main, parce que je n’ai pas de machines. Je prends environ deux heures pour un masque. J’ai commencé pour mes enfants, mon époux, mes voisins âgés de mon immeuble, les amis de mes enfants, mes neveux et nièces, mes amis, des personnes de ma connaissance en maison de retraite. Aujourd’hui, j’en suis à une quarantaine de masques ! J’ai cette satisfaction de me dire que chaque jour, je consacre deux heures à une personne en cousant un masque. De plus, j’ai de super retours de ceux à qui je les offre ! Cette empathie et cette gratitude me conviennent bien et m’accompagnent dans ma recherche d’adaptabilité face aux évènements.

À ce jour, je réalise que dans toute activité, il y a une valeur matérielle, le contenu de ce qu’on arrive à faire, et une valeur humaine, la personne qui porte cette activité. S’il y a un déséquilibre entre le bienêtre de la personne et la réalisation de l’activité, il y a forcément un dysfonctionnement. Pour moi, c’est même un enjeu de santé. C’est un peu curieux de dire ça à un moment où nous sommes confinés pour des raisons sanitaires. Mais je constate avec beaucoup de satisfaction que travailler ainsi me va bien, qu’avoir plus de place pour la réflexion, la réflexivité et la sérénité est plus que salvateur dans toute activité humaine et me permet de mieux faire ce que j’ai à faire.

Ce qui ne m’empêche pas d’avoir le plaisir de retrouver mes collègues du bureau et d’attendre le moment où notre groupe de formateurs va pouvoir se revoir, pour finaliser et fêter la fin de nos travaux. Nous mériterons bien de nous féliciter de ce que nous avons réussi à faire !

Astou, conseillère formation
Propos recueillis et mis en récit par Patrice Bride

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