Dire le travail en temps de confinement

Police secours : agir avec discernement

Paul est agent de police secours en banlieue parisienne. Il nous a raconté son quotidien en ces temps de confinement et d’épidémie… alors qu’il se remet tout juste du Covid contracté au commissariat !

Depuis que le confinement a commencé, ce qui a le plus changé, c’est le discernement avec lequel on doit mener nos missions. Auparavant, dès qu’un délit était commis, 99 fois sur 100, on ramenait les gens au commissariat. On nous demande maintenant de ne ramener la personne interpelée qu’en cas d’extrême nécessité afin d’éviter de mettre des personnes en contact avec nos collègues.

Je vais donner l’exemple des stupéfiants parce que c’est celui qui parle le mieux. Avant le confinement, si on interpelait une personne qui avait juste un gramme ou deux sur elle, en règle générale, on laissait passer. C’est seulement si elle se montrait hostile ou qu’elle nous parlait mal qu’on la ramenait. Et bien la consigne aujourd’hui, c’est que ceux qui ont moins de dix grammes sur eux, on ne les ramène pas. On prend quand même leur identité, on les passe au fichier, mais si on n’a aucune fiche sur elles, on les laissera repartir malgré le fait qu’elles n’avaient pas loin de dix grammes.

D’habitude, quand il y a des vols dans un magasin, on ramène la personne. Si elle est connue, que ça fait trois ou quatre fois qu’elle fait ça, elle sera placée en garde à vue. Mais comme les consignes c’est d’avoir le moins de personnes possibles au commissariat, eh bien on s’assure de l’identité de cette personne et on lui dit : « Compte tenu des mesures exceptionnelles, au lieu de passer en garde à vue, vous serez convoqué lorsque le confinement sera levé. »

On ne fait plus de contrôles routiers non plus pour éviter les contacts avec les usagers de la route, car eux pourraient être porteurs, ou bien nous, et on pourrait se transmettre le Covid. Il y a des équipes qui s’occupent des contrôles du confinement, mais ils sont équipés en conséquence. Ils ont des masques et plus de gants, car ils manipulent les permis toute la journée et peuvent être en contact avec des gens infectés.

Mais il y a parfois des choses un peu plus subtiles à évaluer. Par exemple, en général quand il y a eu une bagarre, avec des violences volontaires, on ramène. Là, si ce sont des blessures légères, que la personne a juste pris une claque ou un coup de poing, on se contente de prendre les identités et de faire un rapport au commissariat. C’est l’officier de police judiciaire qui décidera s’il faut rappeler cette personne. Finalement, ce n’est que si les pompiers doivent intervenir qu’on ramène.

Évidemment, même si on ramène moins, il arrive quand même qu’on le fasse. Depuis le confinement, on nous donne un masque par collègue, une paire de gants et deux ou trois masques chirurgicaux pour ceux qu’on doit faire monter dans notre voiture. Si on doit ramener quelqu’un, on lui met un masque. S’il est menotté, il a les mains dans le dos. Si on décide de ne pas le menotter, on lui demande de poser ses mains sur ses genoux et de ne rien toucher. C’est en gros les consignes que l’on essaie de faire respecter : il ne touche pas aux portes, il ne touche à rien et il garde son masque sur le visage.

Pendant cette période, nos missions de Police secours sont toujours les mêmes. Mais les gens étant confinés chez eux, on a vraiment beaucoup plus de différends de voisinage et de différends familiaux.

Dans les villes de mon secteur, il y a beaucoup d’immeubles. Et malheureusement, il y a des familles qui vivent à cinq ou six dans des logements F2 ou F3. Dans ces immeubles-là, il y a aussi des gens qui sont en télétravail. Le voisin du dessus a plein d’enfants ; ça court partout ; il y a des chiens qui aboient. La journée, on est souvent appelé parce que les gens n’arrivent pas à travailler chez eux, tellement il y a de bruit dans l’immeuble. Ce genre de mission, honnêtement, ça a été multiplié par dix. Tous les jours on intervient sur des différends de voisinage. Au début, il y a eu un peu de laisser-faire, mais maintenant les gens ont de plus en plus de mal à supporter leurs voisins. Ils nous appellent. En plus, ils sont fatigués du confinement. Un peu à bout de nerfs. Les gens ont l’insulte et les menaces plus faciles.

Lorsqu’on est sollicité, on prend attache avec celui qui nous a appelés. Parfois, c’est un témoin, une personne extérieure. On lui demande de nous décrire brièvement la situation. Il nous dit : « Le voisin A et le voisin B sont en train de se prendre la tête, ça se course avec des couteaux. ». Il nous explique en gros les choses. Ensuite, on monte dans l’immeuble, on écoute le récit du voisin A, puis on écoute celui de l’autre. On ne prend pas parti bien sûr, même si ce n’est pas toujours évident parce qu’on reste humain. On dit aux gens de se calmer. Quand c’est plus grave, quand il y a eu des blessures, on envoie le blessé à l’hôpital et on ramène avec nous celui qui a causé les blessures. Mais il arrive parfois que ce soit la personne blessée qui soit l’auteur du conflit alors que l’autre n’a fait que se défendre. Ça, on le décante au commissariat, une fois qu’on a ramené tout le monde.

Normalement, on est censé verbaliser dès que l’on constate du tapage diurne. Mais dans ce cas là aussi, il faut faire preuve de discernement. En fait, on revoit nos modes d’action un peu à la baisse, sauf dans les cas les plus graves.

Mis à part les tapages diurnes qui ont vraiment augmenté, ce qui nous pose le plus de problèmes, ce sont les gens qui ne respectent pas le confinement, qui restent dehors, en groupe. C’est vrai que dans les quartiers, il y a beaucoup de familles nombreuses qui vivent dans de petits appartements. Donc, on comprend que les jeunes aient besoin de sortir. Rester confinés, c’est compliqué pour eux. Mais du coup, il y a d’autres personnes qui n’aiment pas voir des gens discuter sous leurs fenêtres alors que c’est le confinement. Ça les dérange de le respecter alors que d’autres ne le font pas et ils font appel à nous.

En plus, dans ces quartiers, on sait très bien que le stupéfiant fait vivre un certain nombre de gens. Ils ne veulent pas que leur activité s’arrête. Du coup, quelque part, on est plus amené à les traquer, à s’occuper d’eux.

Du fait du confinement, on a donc pris plein de mesures pour adapter nos actions sur le terrain, mais aussi au sein du commissariat lui-même. Ces mesures ont touché toutes les brigades, pas seulement la nôtre. Même les gens de bureau ont été concernés. Il faut savoir qu’à la police, contrairement à la gendarmerie, on a des branches de travail vraiment distinctes. Il y a des unités de terrain avec des fonctions différentes : Police secours où je travaille, le GSP qui s’occupe du maintien de l’ordre, les BST qui interviennent dans les quartiers sensibles pour éviter les zones de non droit, etc. Il y a aussi les gens de bureau qui s’occupent des plaintes et des affaires.

Pendant le confinement, il a été décidé que tous les gens qui travaillaient à l’intérieur du commissariat formeraient un seul et unique groupe. Sachant qu’il y avait beaucoup moins de gardes à vue puisqu’on avait des consignes de moins ramener, ces collègues de bureau travaillent maintenant un jour sur deux, la moitié d’entre eux pour traiter les petites affaires qui arrivent au bureau et l’autre moitié dehors pour faire des contrôles Covid. Ils vont sur des ronds points, sur des lieux connus et ils contrôlent les motifs des déplacements.

Tous nos cycles également ont été changés. Normalement, je travaille quatre jours de suite puis je suis en repos deux jours. Mais actuellement, c’est l’inverse : je travaille deux jours et je suis en repos quatre. On appelle ça « être en ASA », mais ce n’en est pas vraiment parce qu’on n’a pas de garde d’enfants. En gros, le but est de scinder la brigade en deux, de faire deux groupes de dix agents, de manière à ce que si un groupe se trouve malade, toute la brigade ne soit pas infectée.

Mais quand le confinement est sorti, c’était un peu flou. J’ai des amis qui travaillent dans d’autres commissariats où les mesures d’organisation face au Covid ont été prises presque immédiatement. Mais chez nous, nos patrons, les commissaires, ont mis un peu plus de temps qu’ailleurs à agir. Dans une de nos brigades, il y avait un patient zéro. Il a infecté beaucoup de gens avant que les mesures d’organisation du commissariat ne soient prises. Du coup, j’ai attrapé le Covid parce que mon groupe était infecté. J’ai totalement perdu le gout, les saveurs, tout ça, impossible ! J’ai aussi éprouvé des difficultés respiratoires, mais seulement lorsque je faisais un exercice. Par contre, j’ai deux collègues qui ont eu de forts maux de tête allant jusqu’au vomissement. Eux, ils ont dégusté. D’autres ont eu juste la perte de gout, mais ni maux de tête, ni fatigue, rien d’autre. En plus, c’est une maladie qui dure quatorze jours, c’est assez long.

J’ai été testé positif, mais on m’a diagnostiqué trop tard. On m’a dit : « Il faut prendre ces mesures-là chez vous. » Effectivement, mais ma femme était déjà en train de tomber malade. J’en ai parlé à mon médecin. Il m’a dit que lorsque la période d’incubation était déclenchée, les symptômes ne sont pas si forts que ça et l’on ne se rend pas compte tout de suite qu’on est malade. Finalement, on affecte son entourage sans le savoir. C’est pour ça que le Covid se propage assez vite. Mes enfants, eux n’ont pas été malades. On pense qu’ils étaient porteurs sains.

Maintenant, je respire mieux, je suis moins essoufflé quand je fais un effort. En revanche, je n’ai pas retrouvé le gout. Tout est sans saveur pour moi : ce n’est pas terrible ! Ma femme pense être sortie de la maladie, car les symptômes commencent à disparaitre, comme pour moi. Elle n’a pas eu la chance d’être testée, mais comme elle a eu la perte de gout et que d’après les médecins, c’est très significatif du Covid, on pense qu’elle l’a eu.

Finalement, je suis resté seize jours à la maison et je vais retourner au travail samedi.

Paul, agent de police secours en banlieue parisienne
Propos recueillis et mis en récit par Michel Forestier

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