Débats autour du film C'est quoi ce travail ?

Mauvais travail, mauvais produit ?

La projection du documentaire C’est quoi ce travail ? du 3 novembre à l’Espace Saint-Michel à Paris a été suivi d’un échange animé par Dire Le Travail et l’association Travail et Politique. Plutôt qu’un compte-rendu, nous vous proposons de poursuivre les débats ouverts à cette occasion à partir du film. Un premier thème ci-dessous. À vos commentaires !

Au cours du débat, une personne a posé la question de la pénibilité de la plupart des postes de travail montrés dans le film. Les opérations à effectuer sont très répétitives, et donc éprouvantes à la fois physiquement, par les mouvements reproduits à l’identique, et psychiquement, par l’ennui et la monotonie des journées voire des nuits de travail. Et pourtant, il faut bien fabriquer les voitures ! Est-il possible d’aménager des postes pour éviter de telles conditions de travail ? Le consommateur serait-il prêt à accepter de payer davantage pour des voitures de même qualité, mais produites dans des conditions plus respectueuses des personnes ?

Mon avis personnel : s’il y a un mauvais travail pour celui qui le fait, parce que c’est un travail qui abime plus qu’il développe la personne, parce que c’est un travail qui ne rend pas en reconnaissance, en satisfaction, en intérêt ce qu’on y met de soi, alors ce travail est peut-être bien mauvais également pour celui qui en profite. J’écris « peut-être bien » parce que je n’en suis pas sûr, réflexion en cours. Mais je crois qu’il y a quelque chose qui doit nous alerter de ce côté-là. L’abattage des animaux ou le découpage des viandes dans les usines de l’agroalimentaire est une épreuve terrible pour les personnes qui font ce travail, et c’est là que se produit la malbouffe dont on sait bien qu’elle rend malades les consommateurs. Le recours massif aux pesticides est un poison d’abord pour ceux qui les épandent. Multiplier les heures supplémentaires dans les hôpitaux, atrophier le travail des aides-soignantes ou les infirmières par des procédures informatiques contraignantes, fixer des objectifs de rentabilité plutôt que de qualité des services aux gestionnaires se fait au final au détriment des malades.

Qu’est-ce que cela donne dans le cas des voitures ? Peut-être que les consommateurs trouvent leur compte dans des voitures qui ont gagné en fiabilité, en confort, en sécurité grâce aux nouvelles méthodes d’organisation du travail. Quoique la récente affaire Volkswagen jette comme un doute… Et puis surtout, le but du travail, dans l’industrie comme dans les autres secteurs, ne se réduit pas à la satisfaction du consommateur. Dans n’importe quel travail entre une finalité plus large, de l’ordre de la contribution au fonctionnement et au développement de la société humaine : nourrir, soigner, éduquer, abriter, protéger, cultiver, etc. Qu’en est-il pour la fabrication de voitures ? 90 millions ont été fabriqués dans le monde en 2014. Le bilan d’un siècle de production automobile, c’est certes des possibilités de déplacement individuel extraordinaires, mais aussi le travail à la chaine, « l’organisation scientifique du travail » et à présent le « lean management », l’exploitation des ressources pétrolières, le goudronnage des villes, 1,25 million de morts et 20 millions de blessés (source : OMS) chaque année dans les accidents de la route, des grandes métropoles embouteillées, et j’en passe. Le bilan des transports collectifs est tout autre, et le fait est qu’on n’a pas besoin de robots à la chaine pour fabriquer des centaines de milliers de pièces identiques par jour pour des tramways ou des TGV… Il me semble qu’il y a vraiment à creuser dans ce sens : soigner le travail tel qu’il se fait, pour le rendre certes moins pénible, même un peu plus épanouissant, c’est certainement soigner aussi le service rendu à l’humanité. Ça ne peut pas faire de mal.

Patrice Bride