Petites mains

Main gauche

Je me souviens que monsieur T., chef de bureau à fine moustache, m’impressionna quand il accueillit la jeune femme que j’étais alors pour travailler dans le groupe de huit personnes qu’il encadrait.

Il m’expliqua brièvement la répartition des tâches de chacun : liquidation et contrôle de dossiers de retraite et d’invalidité. À cette époque, point d’ordinateurs en vue ! Mais chaque bureau était équipé d’une calculatrice à bande de papier. Monsieur T. me déclara d’un ton impérieux : « Vous êtes droitière, vous utiliserez donc la calculatrice de la main gauche. Cela permet de gagner du temps. Dès le calcul effectué, vous transcrirez le résultat de la main droite… »

J’ai beaucoup tâtonné à devoir procéder ainsi : j’appuyais sur deux touches à la fois ; en confondant les touches, j’effaçais le résultat… Mon cerveau avait du mal à s’acclimater à cette gymnastique imposée à ma main gauche. Monsieur T. donnait aussi des conseils pour disposer au mieux les outils sur le bureau (dossiers, classeur contenant les documents auxquels se référencer, double décimètre, stylo, crayons, etc.).

Finalement, à la tension intellectuelle et physique succéda une habileté manuelle qui me surprit : c’était bien un gain de temps, mais surtout un confort certain de ne pas avoir à lâcher son stylo à chaque calcul.

Nous travaillions tous dans un agréable cliquetis de machines à calculer…

Bérengère

Texte écrit dans le cadre de l’atelier organisé à la bibliothèque Marguerite Audoux le 9 mars 2016