Collecte – été 2016

Lever un coin du voile

N’en déplaise aux clichés faciles, la Bretagne sous le soleil, ça existe ! C’est même, aujourd’hui, un très beau soleil tempéré par une légère brise de mer. Nous en avons profité pour nous installer face à la plage de Lomener, sur un parking où se tient le petit marché du lundi. Beaucoup de retraités, de vacanciers avides de sable blond, le visage hâlé barré par les lunettes de soleil grand écran…

Le travail ? Houla. On en reparlera plus tard… Peut-être… Et même, au fond, moins on en parle mieux on se porte, n’est-ce pas ?

En arrière, la camionnette du cirque Zavatta semble nous poursuivre depuis Guidel : « Tatata… Ne mankkkez pas le ciiirkke ZZZavatta !!! ». L’ambiance est à l’insouciance… On aurait presque un peu de mal à se concentrer sur notre tâche de collecteurs. En fait, ceux qui s’arrêtent aujourd’hui semblent être les gens contents de leur travail.

Un jeune retraité prête l’oreille à nos questions. Il était commercial chez un équipementier automobile. Commercial ? C’est, nous dit-il, un métier de menteur. Mais lui pense avoir réussi sa carrière en gardant son éthique jusqu’au bout. Il en est fier. Il le dit.

Arrive un quinquagénaire débonnaire. « Parler de mon travail ? » Il n’en revient pas. « Mais qu’est-ce que je peux vous dire ? Je suis complètement heureux dans mon travail ! » Et il éclate de rire. On enchaine. Il est restaurateur à Plœmeur depuis trente ans. Il fait la cuisine au feu de bois. Il trouve ça formidable. Et il nous le raconte.

Enfin, un jeune homme avenant se présente. Il est brancardier du côté de Strasbourg. Ce n’est pas grand-chose de pousser des brancards. Mais il y a des gens dessus, qui sont malades, inquiets, souffrants. Des enfants angoissés. Son boulot, c’est d’être là simplement, de rassurer par sa seule présence, sa bonne humeur, sa disponibilité, juste avant d’entrer dans le bloc opératoire. Il y met tout son cœur. Ça fait du bien…

Retour à Larmor-Plage. Sur la mer, passe un IMOCA de course au large, génois déployé en grand. Il glisse sur la rade de Lorient plate comme un lac, vers le fort de Port-Louis dont on aperçoit les fortifications Vauban.

Il nous manquait un surveillant de baignade. En voici justement un installé dans son poste d’observation. On entre. Pas de problème, on n’a qu’à causer pendant que sa collègue fait la surveillance. Le discours est net comme un rapport de mission, la voix, assurée comme celle d’un commandement en opération. Les yeux rivés aux jumelles, sa collègue scrute le rivage.

Vue du poste de secours : ça en fait du monde à surveiller !

Vue du poste de secours : ça en fait du monde à surveiller !

Du haut de sa position surplombante, le poste de veille est un endroit d’où rien n’échappe au regard. Les surveillants ont conscience de l’importance de leur mission autant que de la discrétion de leur présence. On en fera le récit.

Voilà, on a fini notre petit tour en Bretagne. On a vu plein de gens différents : vingt-trois enregistrements d’entretien qui ont duré en moyenne une dizaine de minutes chacun. Le plus long : une bonne heure, le plus court : quatre minutes. Tous ceux qui nous ont parlé l’ont fait avec envie même pour dire la difficulté d’un travail répétitif. Tous nous ont quittés avec, dans le regard, un peu de fierté, comme si on avait levé un coin de voile sur une part d’eux-mêmes qu’ils ne s’imaginaient pas en situation de montrer un jour.

Ce sera le cas de la serveuse du bar où on prend un petit café face à la plage. Elle a accepté de prendre le temps de nous expliquer, entre deux commandes, qu’elle adore ce contact avec les gens, même si elle doit trotter toute la journée entre les tables en tenant un plateau chargé à bout de bras.

Le front de mer, zone touristique par excellence.

Le front de mer, zone touristique par excellence.

Faut-il croire que tous les serveurs de bar s’épanouissent dans leur travail ?

Il fait beau. C’est un temps à être heureux…

Pierre Madiot, Patrice Bride