Dire le travail en temps de confinement

« Les consignes changent tous les jours, on s’adapte »

Pauline habite dans une commune rurale de près de 4 000 habitants dans l’Ouest de la France. Elle habite dans une maison avec jardin, avec son mari et ses deux filles de 8 et 13 ans. Elle est clerc de notaire et travaille à 35 kilomètres de son domicile, ce qui représente deux trajets quotidiens de 40 minutes.
L’entretien a été réalisé mi-avril.

Depuis la mise en place du confinement, je suis en télétravail à 50 % et en chômage partiel pour les 50 % restants. C’est le cas pour toute l’équipe. L’activité est réduite mais toujours présente. Je n’avais jamais fait de télétravail auparavant. Au début, j’ai eu des difficultés pour couper. Je me connecte plus facilement au réseau en dehors des horaires de travail, mais jamais le week-end.

Nous avons créé deux groupes WhatsApp en lien avec le travail : un avec les collègues et les patrons ainsi qu’un avec uniquement les collègues. Nous communiquons tous les jours par ce biais. Dans le groupe avec les patrons, nous échangeons sur les nouveaux dossiers, nous posons des questions pour lesquelles nous avons besoin de réponses pour avancer, etc. Nous nous interpellons par mail ou nous nous téléphonons lorsqu’il y a des dossiers à problème.

Je reçois parfois des messages WhatsApp alors que je ne suis pas en train de travailler. Je les lis et je me reconnecte alors au réseau. Si je pense à quelque chose que je n’ai pas fait, je vais avoir tendance à aller le faire. Ce n’est pas pareil, je suis chez moi, je suis moins speed, mais je ne touche pas au travail pendant le week-end. En télétravail, on se sent parfois seul devant son écran d’ordinateur…

Les collègues nous manquent pour partager les avis sur les dossiers ou pour discuter tout simplement. Le groupe WhatsApp sans les patrons permet de pallier un peu même si c’est différent : nous échangeons sur nos ressentis, sur les problèmes que nous pouvons rencontrer ou sur des dossiers, mais nous parlons moins de choses du quotidien comme lorsque nous étions ensemble physiquement.

Avec le confinement, les signatures d’actes « stoppées »

En ce moment, l’activité dans le notariat est particulière car nous ne savons pas trop sur quel pied danser. Lorsque le confinement a été instauré, les signatures d’actes ont été stoppées. Je prévenais alors les clients et j’attendais les consignes. Puis, il a été possible de réaliser des signatures électroniques pour ceux qui le souhaitaient : avec des procurations électroniques pour les clients connus, et avec des procurations électroniques assorties de visio pour les nouveaux clients. Ce service, qui fait appel à des prestataires, était payant pour les clients (9,60€ pour les procurations électroniques et 36€ pour les procurations en visio). Cela commençait juste à se mettre en place mais nous avons reçu un message il y a quelques jours demandant de stopper les signatures électroniques… Les notaires étant les seuls habilités pour réaliser les actes authentiques, les signatures électroniques pourraient être une future porte ouverte pour la signature d’actes par les avocats. La situation était également compliquée avec les différents prestataires pour la réalisation de ces procurations*.

Nous ne savons pas vraiment quelles réponses apporter aux clients, nous attendons les consignes mais celles-ci changent tous les jours. Elles viennent du Conseil supérieur du notariat et de nos employeurs. Par exemple, différentes clauses ainsi que les délais des compromis ont changé avec le Covid-19 et l’instauration de l’état d’urgence. Pour l’instant, celui-ci a été mis en place pour une durée de deux mois à compter du 25 mars mais il pourra être prolongé.

Tous les délais sont suspendus pendant cette période d’état d’urgence. Cela concerne notamment les droits de préemption urbain : je transmets les demandes en mairies, elles peuvent y répondre rapidement ou dans un délai allant jusqu’à deux mois après la fin de l’état d’urgence. Au départ, cette suspension des délais semblait s’appliquer également aux droits de rétractation pour les achats immobiliers. Ils auraient alors été à purger à la fin de l’état d’urgence. Ce n’est finalement pas le cas. Ce type de choses, les droits de rétractation des acquéreurs, constitue justement des clauses particulières que j’aurais dû intégrer aux compromis de vente.

« Tout est bloqué »

Les délais pour les permis de construire démarreront également à la fin de l’état d’urgence. Tout est bloqué. Cela pose aussi question par rapport aux prêts pour les achats de maisons. Jusqu’à présent, les banques étaient assez rapides pour les dossiers de prêts. Dorénavant, elles auront peut-être besoin de délais supplémentaires pour les monter. Elles fonctionnent elles-aussi avec des effectifs réduits et les revenus des acquéreurs ont pu changer avec cette crise sanitaire sans précédent. Tous les délais sont allongés et nous ignorons la durée à indiquer dans nos documents puisque l’état d’urgence peut être prolongé…

Il y a des situations compliquées pour certains clients. Ceux qui avaient donné leur préavis restent finalement dans leur logement. Ils ne peuvent pas être mis à la rue. Heureusement, la trêve hivernale a été prolongée. Nous précisons à tous ceux qui insistent pour signer les actes de vente que les déménagements sont actuellement interdits et ne constituent pas un motif de déplacement dérogatoire. Nous leur faisons signer une décharge indiquant que nous n’avons pas pu vérifier que le logement était bien vide, que les compteurs n’ont pas été relevés et qu’ils n’ont pas le droit de déménager pendant le confinement.

Un délai n’a quant à lui pas été suspendu, c’est celui concernant le paiement des frais de succession… Il est toujours de six mois mais l’État ne demandera pas d’intérêts en cas de retard de paiement.

« Je mets les dossiers à l’envers sur mon bureau pour ne pas voir les noms des clients quand je vais me coucher ! »

Au niveau de mon organisation, je travaille le matin. Je mets le réveil à 7h, contre 6h30 en temps normal. Je prends mon petit-déjeuner et je commence à travailler entre 7h30 et 7h45. Mon mari se lève quelques minutes avant et commence à travailler en même temps.

J’ai installé le bureau dans notre chambre avec le PC du travail. Afin de pouvoir travailler de la maison, j’ai pris avec moi de nombreux dossiers papier le jour où le confinement a été instauré. Les dossiers du mois de mars, les successions avec du retard, les compromis en cours, mais pas les dossiers du mois d’avril… Je pensais retourner travailler au bout de quinze jours.

Finalement, je n’en ai pas eu besoin car les compromis prévus en avril n’ont pas pu être signés. Je mets les dossiers à l’envers sur mon bureau pour ne pas voir les noms des clients quand je vais me coucher !

Un des notaires va à l’étude de temps en temps, ouvrir le courrier et scanner certains documents dont nous avons besoin. Le matin, je commence par consulter mes mails et y répondre, comme en temps normal, pendant un peu plus d’une heure. C’est plus rapide en télétravail car je ne suis pas interrompue par les coups de fil. Ensuite, je démarre avec les compromis et les ventes en préparant, constituant les dossiers et cherchant les informations manquantes. De nouveaux dossiers arrivent malgré le contexte : ils sont transmis par des agences immobilières qui ont signées des compromis de vente. En effet, un certain nombre de personnes veulent signer les compromis même si les délais sont flous. Elles ont visité les maisons avant le confinement, sont tombées d’accord avec les vendeurs, et veulent signer dès maintenant. Les agences immobilières ne font bien-sûr aucune visite pendant le confinement.

Lorsque j’ai besoin de joindre les clients, j’utilise mon téléphone personnel car je n’ai pas de téléphone portable professionnel. Après avoir passé quelques appels, j’ai finalement masqué mon numéro. C’est mieux ainsi.

« Le matin, nous sommes souvent tous les quatre devant nos écrans »

Mes filles se lèvent quant à elles vers 8h15 – 8h30. Elles prennent leur petit-déjeuner seules ou avec mon mari. La plus jeune est prête à 9h pour démarrer ses devoirs. Au début, elle s’installait à côté de moi. Maintenant, elle s’installe dans sa chambre et vient me poser des questions si besoin. En général, nous reprenons ses questions l’après-midi.

Elle a des fiches qu’on imprimait mais l’imprimante nous a lâché au début du confinement… Nous nous adaptons ! Son enseignant lui transmet des petites vidéos sur la découverte du monde, les Alpes par exemple, ou des épisodes de « C’est pas sorcier ». Elle les regarde en fin de matinée. L’aînée s’installe dans sa chambre et se déplace lorsqu’elle a des questions ou ne comprend pas les consignes. Le matin, nous sommes souvent tous les quatre devant nos écrans.

Mon mari s’installe avec son ordinateur portable professionnel dans le salon. Au début, il s’installait dans la chambre de la cadette quand elle était avec moi. Il fermait la porte pour être tranquille pour faire des réunions en visio ou passer des appels. Pour lui, l’activité n’a pas trop changé.

« Les journées passent vite ! »

Selon les jours, j’arrête de travailler entre 11h30 et 12h. Je vais parfois courir cinq kilomètres sur ce créneau-là. Je pars de la maison et je fais un kilomètre dans un sens puis un kilomètre dans l’autre ! L’après-midi, je travaille parfois à nouveau une heure, cela dépend des jours. Je passe ensuite du temps avec les filles. Le confinement a renforcé leur autonomie pour les devoirs. Les journées passent vite ! Nous avons aussi beaucoup plus le temps de cuisinier. Avant, je rentrais vers 18h30 ; avec les devoirs à faire, j’avais beaucoup moins de temps libre. Là, nous pouvons faire des jeux de sociétés ou regarder des films ou des dessins animés avec les filles. J’ai plus d’une heure de temps de trajet en moins dans la journée. J’apprécie d’être chez moi dès que j’arrête de travailler.

Par la suite, j’aimerais faire un jour par semaine de télétravail si c’est possible. Dans mon cas et vu la situation, travailler à mi-temps pendant le confinement est la bonne formule. Je peux m’organiser comme je veux pour le travail et la famille. Si j’étais en arrêt pour garder les enfants, ce serait très compliqué par rapport à mon activité professionnelle. A l’inverse, si je travaillais à temps plein, je n’aurais pas de temps pour les enfants. Il y a une partie du travail qui n’est pas faite mais je peux parer au plus urgent, montrer aux clients que je suis toujours là et que je suis leurs dossiers. A la reprise, je pense que je travaillerai cinq jours par semaine, contre quatre habituellement, le temps de rattraper le retard accumulé.

* Quelques jours après l’entretien, les procurations électroniques ont été, de nouveau, autorisées.

Pauline, clerc de notaire
Propos recueillis et mis en récit par Clarisse Champin

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