Dire le travail en temps de confinement/L'habitat vu de chez soi

L’enclave

Florence est actuellement une cloudworkeuse… Dans la vie de tous les jours, son activité consiste à poser les fondations d’une politique en faveur de l’habitat et du logement. Des termes qui prennent une autre dimension en cette période un peu trouble.

D’ordinaire, j’accède à mon bureau au moyen d’un badge qui déverrouille l’entrée principale du bâtiment. Je traverse ensuite un long couloir desservant de part et d’autre plusieurs bureaux. Lorsque les portes ne sont pas fermées, j’ose un petit toc toc et glisse ma tête pour saluer chacun de mes collègues. Dans le cas contraire, je respecte la volonté d’intimité signifiée par la porte close.

La configuration du bâtiment permet une optimisation de chaque emplacement (le copieur, les stocks de ramettes, mais également nos places respectives signifiées au moyen de plaques de portes). La touche de chaleur vient de la manière dont chacun de mes collègues a pu s’approprier le petit bout de terre auquel il a droit. Pour les uns, ce sont les dessins des enfants ; pour les autres quelques cartes postales ou photos de vacances — sans doute une manière de se motiver ! — ou encore la trace d’évènements auxquels ils ont pu participer, pièces de théâtre, manifestations grand public. Point de tout cela dans le bureau que je partage avec ma directrice, non, sans doute à cause de ma nature discrète, et de la volonté de ne pas avoir à me justifier de mes gouts ou de mes choix de vie. Le seul espace sur lequel il m’arrive d’inscrire mon empreinte personnelle reste le fond d’écran de l’ordinateur portable. Je ne m’aventure pas au-delà de cette frontière. Même la tasse que j’utilise régulièrement reste un produit dérivé d’une collectivité à laquelle j’ai appartenu par le passé. Bref, autant dire que chaque chose a sa place…

Confinement oblige, il m’a fallu imaginer le repaire idéal pour poursuivre mes missions. Mon installation récente dans une ferme nichée dans un écart dans la montagne vosgienne me permet d’évoluer librement au sein de la maison, telle une télétravailleuse sans enclave fixe.

Les premiers jours en télétravail se sont déroulés dans ma chambre, sans doute en souvenir de mes années scolaires et des heures passées sur mes devoirs. Les trente-sept bougies que j’ai soufflées virtuellement, il y a une dizaine de jours maintenant, m’ont rappelé que la cloche de l’école avait cessé de sonner depuis longtemps. Aussi suis-je partie à la recherche d’une autre enclave à coloniser, par envie également de ne pas polluer l’endroit considéré comme le plus intime de la maison, synonyme de repos, de ressourcement. La rigueur demandée en télétravail se prête mal à la rêverie.

Changement de pièce et de décor ; il m’a suffi de descendre les escaliers et de m’installer dans le grand salon. Le lit a cédé la place à deux grands canapés, la jungle au travail est symbolisée par plusieurs plantes vertes, et l’ancien pétrin fait désormais office de boite à musique. L’immense vitrail de forme ronde est une invitation à la prière et au recueillement ; idéal en cette période pascale… Il me suffit de fermer les yeux pour imaginer les causeries qui ont pu avoir lieu dans cette pièce, les éclats de rire, les voix fortes des hommes, les chuchotements, le tintement des verres qui s’entrechoquent. Peu à peu ces voix s’estompent pour laisser place à une ambiance plus studieuse, on y « parle » désormais budget habitat, logement social, rénovation et précarité énergétique.

La semaine suivante, mon odyssée à travers cette ferme rénovée s’est poursuivie. Je décide de poser mes bagages dans l’ancienne cuisine. La fonction de cette pièce a été préservée, avec la pierre à eau et la cheminée. C’est donc désormais sur une table et non plus un canapé que je poursuis mon travail, non sans penser aux quelques repas que j’ai pu prendre dans cette pièce, au crépitement du feu dans la cheminée, et aux nombreuses parties de rami. Cette pièce n’est pas la plus lumineuse de la maison, aussi la lumière artificielle y est-elle indispensable.

Cette « odyssée de l’espace domestique » — l’expression n’est pas de moi, mais de la journaliste Mona Chollet — à la recherche d’une enclave pour y télétravailler me permet finalement d’envisager mon travail sous un autre jour. Pour être tout à fait honnête, avant l’entrée en confinement, je m’interrogeais sur la place que j’occupe au sein de l’institution, les missions qui sont les miennes, mon objet d’étude, questions générées par le niveau d’abstraction, la difficulté à y mettre de l’épaisseur, une dimension concrète.

En temps normal, nous sommes nombreux à quitter notre logement tôt le matin, pour le retrouver tard le soir. Une enquête datant de 2015 indique qu’un Français passe en moyenne neuf heures et quart dans son logement chaque jour. La situation actuelle nous amène sans doute à revoir notre relation au logement. Certains auront-ils pu profiter du confinement pour revoir l’agencement ou l’aménagement de leur maison ? Une chose est sure pour moi : cette période en télétravail m’encourage à voir mon objet d’étude sous un autre angle. Ce temps de confinement fait évoluer mes réflexions, m’encourage à poser un regard neuf sur mes missions, et au final sur l’importance donnée au logement et à l’habitat de manière générale.

Florence, cloudworkeuse, chargée des politiques de l’habitat dans une collectivité territoriale.

à suivre…

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