Des récits du travail

L’éleveur et son troupeau : une question d’équilibres

Guillaume et Céline ont repris une ferme conventionnelle dans la région d’Assérac (Loire-Atlantique). Le choix d’un mode de production biologique s’est imposé à eux comme une évidence. Mais les éléments de la nature leur ont immédiatement rappelé les contraintes particulières qui s’imposent alors à eux.

Quand nous nous sommes installés ici il y a six ans, pour faire de l’élevage « bio », on avait de grandes idées. Mais la réalité quotidienne est bien loin de l’idéal. Chaque jour, on est confronté à des problèmes qu’il faut résoudre un par un. Par exemple, la première année, j’ai implanté six hectares de céréales que j’ai ensilées. Peu de temps après, j’ai semé de nouveau un trèfle qui s’est mal développé. L’hiver est passé et, au printemps, j’ai retravaillé ma terre pour planter de nouveau un maïs. Au bout du compte, toute la plante s’est fait manger par un petit ver, le taupin, et je n’ai rien récolté. En l’occurrence, j’ai voulu trop demander à la terre : premier labour, deuxième labour, troisième labour. Du coup, par ce travail du sol répétitif et trop rapproché, j’ai bouleversé l’équilibre du sol. La sentence a été sans appel. En fait, il aurait fallu que je me contente de ma récolte de céréales, que je replante une prairie, que je la laisse se reposer pendant quatre ou cinq ans, avec des animaux qui vont pâturer. Et, après tout ce temps, j’aurais pu replanter un maïs.
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La solution conventionnelle aurait évidemment été de compenser avec des engrais, du désherbant et des pesticides. Pas possible. Quand on a fait le choix du bio, on ne peut compter que sur le maitre mot, « équilibre » : une situation qu’il faut maintenir ou rétablir quitte à faire des erreurs en agronomie et en tirer un apprentissage.

On apprend ainsi qu’il faut donner du temps au temps, que le sol n’est pas qu’un support : il y a de nombreux organismes qui y travaillent et qui le rendent fécond, à condition de ne pas demander plus que ce que ce milieu vivant peut nous offrir. À l’école d’agriculture que j’ai fréquentée, on ne nous a parlé que d’agriculture industrielle, jamais on ne m’a expliqué le fonctionnement d’un sol, sa biologie, l’influence de la roche qui est en dessous. On peut retrouver ce savoir-là chez les paysans qui sont de la génération d’avant celle de nos parents, celle qui a travaillé la terre avant que les produits arrivés après-guerre ne se généralisent. Alors, on se documente. Personnellement j’ai lu les livres de Rudolf Steiner, et on se forme auprès de nos confrères qui se sont regroupés au sein du GAB (Groupe des agriculteurs biologiques).

Il faut trouver un équilibre dans ce que je cultive et dans la manière de le cultiver. C’est ça, en fait, le plus gros problème que j’ai à résoudre puisque tout ce que mangent mes animaux est produit dans mon exploitation. Notre volonté est d’être autonomes. Le lait produit par nos cinquante vaches laitières correspond aux capacités fourragères que nos cent hectares de terre peuvent nous apporter. Nous ne souhaitons pas acheter d’autres aliments pour produire plus de lait. On a un type d’élevage qui fonctionne dans un cercle vertueux : notre troupeau est sain, il donne un fumier sain qu’on va apporter sur les terres qui vont être saines et où va pousser un fourrage de qualité.

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Mais il n’a pas été simple d’adapter nos vaches laitières à ce système. Elles étaient habituées à consommer une ration constituée de maïs et de tourteaux de soja que nous avons remplacée en donnant une importance majeure au pâturage. Quelques vaches se sont mises à maigrir, à avoir des problèmes de pieds, à donner moins de lait, à être davantage malades. Nous avons donc sélectionné celles qui se sont le mieux adaptées. Celles-ci ont un gabarit plus petit, plus râblé, elles ont de bonnes pattes, elles sont capables de valoriser au mieux leur ration. Ensuite, on a sélectionné les génisses qu’elles nous ont données pour arriver à des animaux qui se comportent bien.

Au bout de six ans, je pense qu’on commence à avoir un troupeau qui correspond à notre mode d’élevage. C’est un troupeau de cinquante vaches laitières de race Prim’Holstein qui nous connaissent bien et qu’on connait toutes, une par une. Il faut dire qu’on passe beaucoup de temps avec elles ! On a chacun nos animaux fétiches, certains vont chercher le contact, n’ont pas peur de nous. Moi, j’ai ma vache préférée, Céline a la sienne. En fait, on aime toutes nos vaches. Elles ont plus ou moins de caractère et on fait tout ce qu’on peut pour qu’elles soient bien. Certains éleveurs mettent de la musique dans les bâtiments d’élevage. Cela veut dire que le bienêtre de l’éleveur va créer un contexte favorable, propre à installer un environnement qui va plaire aussi aux animaux.

L’équilibre est aussi à trouver au sein du troupeau qui vit comme une petite société très hiérarchisée. Il y a la chef, les dominantes et les vaches qui ne trouvent pas leur place. C’est un problème parce que le troupeau est un groupe qui doit trouver son fonctionnement alors qu’il est appelé à changer continuellement. Régulièrement, je dois faire entrer une génisse qui vient de vêler, ou faire sortir des vaches qui ont fini la lactation et que je mets au repos. Chaque fois, il faut que la hiérarchie se rétablisse. Quand c’est la chef que je fais sortir, on voit la sous-chef, qui attendait depuis trois mois, en profiter pour prendre la tête du troupeau. Dans le même temps, les affinités s’affirment ou se recomposent et il peut y avoir des conflits qui sont parfois violents. Elles peuvent se faire mal. Mais il est difficile d’éviter les accidents dans la mesure où notre mode d’élevage nous oblige à maintenir un grand nombre de bêtes dans un certain confinement.

Tout ça est en harmonie et c’est le résultat d’un travail quotidien. Ce que je fais aujourd’hui, je vais en subir les conséquences ou en avoir les bénéfices dans sept ou huit mois. Il faut toujours voir loin, il faut toujours anticiper. Ce que les animaux mangent aujourd’hui, c’est l’herbe que j’ai récoltée il y a un an. Il n’y a pas de repos possible, nous devons toujours rester humbles face à une nature souveraine. On est donc perpétuellement en train de préparer une prochaine échéance. Par exemple, je vais faire les premières fauches d’ici quinze jours, quand la météo va le permettre. Après, je vais préparer les semis de maïs et les choses vont s’enchainer comme ça sans répit pour aller au bout de mes choix. Je pourrais par exemple laisser toute mon exploitation en prairie naturelle, ce ne serait pas aberrant. Mais vu mes charges liées à mes investissements je suis dans l’obligation de produire un certain volume de lait.

Et puis il peut arriver qu’une vache soit malade, qu’elle tombe, qu’elle se blesse, qu’elle ingère une plante toxique. C’est ainsi que l’an dernier, j’ai perdu une vache au pâturage : elle avait mangé de la cigüe sur le bas-côté. Je l’avais envoyée à l’herbe à 10 h et demie, je suis repassé voir à 11 h et demie, elle était toute tremblante, elle bavait. À midi, elle était morte.1972397_10202914320489660_418825225_n

Enfin, au milieu du troupeau, il y a le taureau. C’est un jeune sujet qu’on ne laisse pas plus d’un an jouer son rôle de reproducteur. Au-delà, il risque de s’installer, de devenir susceptible et d’être dangereux. Après une année de vie de cocagne, il est vendu comme viande de boucherie de la même façon que les vaches qu’on « réforme » parce qu’elles sont arrivées au bout de leur carrière de laitières, et de la même façon que les quelques vaches de race Highland Cattle qui paissent de l’autre côté du chemin et dont nous vendons la viande en vente directe.

Il peut paraitre contradictoire d’aimer ses vaches et, à la fin, de les envoyer à l’abattoir, mais c’est ainsi. Les bâtiments de notre ferme sont le centre d’un microcosme où tout se tient. C’est pourquoi j’ai apporté tant de soin à concevoir et à construire ma maison, avec ses murs en paille, dans un ancien hangar.

Ici, nous sommes bien. Des fenêtres, qui donnent sur le vallon, je vois paitre mon troupeau et, dans le pré à côté, les quatre chevaux que j’élève pour le plaisir.

C’est ainsi que l’équilibre que j’essaie d’atteindre dans mon exploitation se répercute sur notre mode de vie. Respecter l’équilibre des bêtes, l’équilibre de la terre, c’est respecter aussi notre équilibre à nous.

Guillaume Elléouët
Propos recueillis par Pierre Madiot


Quelques chiffres

La superficie de l’exploitation est de 92 hectares, et nous sommes deux à y travailler pour nous occuper d’environ 120 bovins. Nous produisons 250 000 litres de lait en agriculture biologique, avec un quota pouvant s’élever à 392 000 litres.

Notre lait est commercialisé par le groupe coopératif Eurial, rassemblant 4 500 producteurs. Il nous est payé 442,97 € les 1000 litres, soit 60 % plus cher que le lait conventionnel.

Le Lait AB est un lait que nous produisons suivant le cahier des charges de l’agriculture biologique. Ce label est validé par un organisme de contrôle. Nous nous engageons à ne pas utiliser de produits dits « chimiques » ou « de synthèse ». Les semences plantées ne sont pas traitées, nous n’utilisons pas d’hormones avec les animaux.

L’écart de prix entre le lait AB et le lait conventionnel s’explique par la production plus faible d’une vache laitière conduite en bio, d’environ 30 % par rapport à une vache conduite de manière conventionnelle.

Pour plus de renseignements : http://www.produits-laitiers.com/article/que-veut-dire-bio-pour-produit-laitier

Nous proposons également des colis de viande en vente directe, à 16 €/kg. Nos animaux ne sont pas « poussés » pour grandir. Nous leur laissons donc du temps… En moyenne il faut que l’animal ait au moins trois ans pour arriver à une croissance optimale. Nos animaux de viande consomment uniquement de l’herbe et du foin (pas d’ensilage de maïs).

Le site de la ferme : http://www.fermebiolegrandlarge.fr/index.php?numlien=2