Dire le travail en temps de confinement/L'habitat vu de chez soi

La pendule de la cuisine à l’heure du télétravail

Florence est actuellement une cloudworkeuse… Dans la vie de tous les jours, son activité consiste à poser les fondations d’une politique en faveur de l’habitat et du logement. Des termes qui prennent une autre dimension en cette période un peu trouble.

L’exotisme de la situation des premiers jours a laissé la place chez moi à une certaine pesanteur. Pour paraphraser le Président, les semaines à venir vont être dures, éprouvantes.

Une fois la prise de contact avec les collègues pour se souhaiter bon courage dans cette nouvelle aventure faite, la to do list des jours à venir envoyée à la direction, je dois trouver le bon tempo pour traverser au mieux cette période un peu trouble : travailler plusieurs heures par jour, dans un espace dont les fonctions premières sont de se nourrir, se laver, dormir, se divertir…

Première interrogation : conserver le réveil du matin ou non ? D’ordinaire, mon portable me réveille avant que la radio ne prenne le relai. Je ne saurais l’expliquer, mais j’ai abandonné le téléphone portable, ne conservant que la douce voix de Nicolas Demorand…

S’habiller ou non ? J’ai un peu honte d’avouer que si la situation ne l’impose pas, mes vêtements de nuit peuvent encore m’accompagner bien au-delà du lever et du petit-déjeuner… à mon avis, je n’aurais pas de mal à trouver pléthore d’études démontrant que les vêtements ont aussi un rôle à jouer dans la manière de mener à bien ses missions en télétravail.

En revanche, aucune interrogation sur le « petit-déj ». J’adore ce moment qui reste pour moi le temps de tous les possibles. Sans doute est-ce l’afflux de sucre dans le sang qui fait jaillir des tas d’idées, promesse d’une journée réussie… même en situation de confinement.

Il est donc aux alentours de 9 h lorsque je prends mon poste. En disant cela, je rends hommage aux milliers d’employés qui ont dû ou non abandonner leur poste sur les chaines de montage. Je conserve certains réflexes comme celui de consulter mes mails, ainsi que les pages internet de la presse quotidienne régionale et nationale.

En trois clics de souris, je me retrouve sur le réseau local de la collectivité. Je fais partie de ceux qui n’ont pas abandonné l’agenda papier. Aussi j’égrène les jours de télétravail, j’inscris la mention « annulé ou reporté » sur des rendez-vous qui avaient été programmés au temps où il était encore possible de se réunir dans une même salle sans craindre de se retrouver aux urgences dans les jours qui suivent. Le bloc-notes utile à dresser la liste de courses sert désormais à noter les codes d’accès aux conférences téléphoniques.

Pour mettre toutes les chances de mon côté, j’ai choisi depuis quelques jours de travailler au rythme de la musique, délaissant les programmes radiophoniques étonnamment anxiogènes ces derniers temps.

À la fin des premières journées, je me suis vue comptabiliser le nombre d’heures passées devant mon clavier… Bon OK, je ferai mieux demain…

Oui, il faut peut-être que je vous dise que je ne suis pas un ayatollah des horaires de travail. Faire des heures pour des heures, très peu pour moi, je suis plutôt en mode mission à accomplir. Sans doute de vieux restes du temps où j’étais consultante et que je travaillais sur missions.

Il faut se l’avouer, et toutes les études le prouvent, nous ne sommes pas productifs 100 % de notre journée de travail… Oui, oui, vous savez où je veux en venir, vous savez cette micro-sieste que vous vous octroyez après la pause déjeuner, et le supplice des réunions du début d’après-midi…

En cette période de confinement, les articles poussent comme les jonquilles au mois d’avril dans les Vosges, pour délivrer bons conseils, pièges à éviter, qui me font dire, à leur lecture, que si les autres y arrivent, je devrais y arriver aussi.

Les matinées passent très vite… Comme je ne suis pas seule, je déjeune d’un vrai repas, ce qui d’ordinaire n’est pas le cas. Deux barres hyper protéinées et une banane font parfois l’affaire. C’est souvent aux alentours de 14 h 30 que je parviens à m’extraire d’une certaine torpeur printanière, favorisée ces derniers jours par quelques rayons de soleil, sans doute maudits par un grand nombre de mes concitoyens à l’heure du confinement et de la distanciation sociale.

Malgré cette tentative de conserver un rythme de travail régulier, j’ai l’impression d’être une dilettante, en combat perpétuel avec cette fichue conscience professionnelle nichée au plus profond de moi-même. Je me suis donc creusée la tête pour trouver la bonne recette qui allait m’aider à tenir. Vous savez, un de ces plats que vous préparez lorsque vos amis débarquent à l’improviste un vendredi soir et que le frigo est vide, ou celui du fameux Foursitou de Mme Lepic dans Fais pas ci fais pas ça… et qui au final laisse un joli souvenir au palais…

Du plus profond de moi-même, j’ai donc pu sortir :

  • Quelques centièmes de seconde de fainéantise,
  • Une à deux secondes d’anarchisme,
  • Une dizaine de minutes de culpabilité,
  • Plusieurs heures de bonne volonté.

Et le plus important : une louche d’envie de bien faire dans ces conditions inédites de travail, avec l’impression de vivre un moment de communion avec des centaines de milliers d’autres télétravailleurs, et pouvoir dire, dans quelques années, « j’en étais » et malgré la gravité de la situation, en rire un petit peu. J’ai agité le tout pendant plusieurs minutes et au final j’ai obtenu un cocktail pas désagréable au gout. Car oui, même à distance, même si les collègues ne donnent pas de nouvelles régulièrement, ma volonté est là de me donner à 100 % pour mon travail.

Nous sommes le vendredi 3 avril aujourd’hui, j’achève mon douzième jour de télétravail. J’ai finalisé un cahier des charges pour la réalisation d’une étude, rédigé une note sur le logement social du territoire, travaillé à une note sur le déploiement du programme local de l’habitat de la collectivité dans laquelle je travaille, réalisé deux entretiens téléphoniques, répondu à une vingtaine de mails.

Florence, cloudworkeuse, chargée des politiques de l’habitat dans une collectivité territoriale.

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