Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 59

Dimanche 10 mai

Vendredi, juste après ma consultation, j’avais ouvert mon agenda et j’avais commencé à rédiger la liste de mes contacts depuis trois semaines : malgré le confinement, auquel j’ai satisfait en quasi-totalité, j’ai rencontré 11 personnes, dont quatre pour des raisons liées à leur travail (un médecin et trois artisans). Parmi les sept restantes, quatre sont entrées chez nous à leur initiative. Les trois dernières, je les ai vues de mon propre chef : il s’agit de mon père, de mon amie et de sa fille, à qui j’ai rendu visite lundi dernier.

J’ai réfléchi à ce que je devais faire. Les appeler, au risque de les alerter pour rien ? Attendre le résultat du test, au risque de laisser passer quelques jours avant leur prise en charge ? Tout bien pesé, aucune intervention de la brigade de l’Assurance maladie n’aura lieu tant que je n’ai pas de preuve de ma positivité. Je n’ai donc pas bougé. Mais j’ai demandé à ma fille d’appeler son grand-père pour prendre de ses nouvelles. RAS : il va bien, a seulement le dos en compote parce qu’il a taillé sa haie ! Plus compliqué pour mon amie. J’ai cherché un prétexte pour prendre de ses nouvelles.

Lorsque ma messagerie a tinté, et que j’ai compris que mon résultat m’était adressé plus vite qu’indiqué par l’infirmier préleveur, laissant le laboratoire dans les clous d’une réponse en moins de 24 heures (même pas dix !), je me suis senti fébrile, et pas en raison du virus. J’ai « bafouillé » sur le clavier avant d’ouvrir la fameuse page : ARN du SARS – Cov-2, Recherche négative. Ouf ! Je sais que le test est réputé fiable à 70 %, mais, si j’avais été déclarée positive, le pourcentage de validité se serait élevé à 98 %. La probabilité que je n’aie pas contracté le Coronavirus est de plus des deux tiers.

Toutefois, j’ai immédiatement pris un rendez-vous en téléconsultation avec mon médecin traitant pour lundi. Je lui présenterai exhaustivement mes symptômes : grande fatigue, maux de tête, fièvre, douleurs abdominales, conjonctivite, éruption cutanée transitoire, fréquence cardiaque à 100 battements par minute. Lui indiquerai ceux encore en vigueur. Et lui demanderai effectivement si un second test est nécessaire pour confirmer la négativité.

Sans oublier de l’interroger sur le diagnostic possible de la maladie que j’ai contractée, car, en ce moment, la sensation générale est que le Coronavirus masque voire efface toutes les autres pathologies, comme si elles cessaient d’exister et qu’il n’était pas utile de s’en soucier. Je me suis fait d’ailleurs une réflexion étrange et angoissante : depuis quelques jours, je suis choquée par les bains de foule auxquels j’assiste, soit en visionnant des documentaires anciens soit, pire, en regardant des films de fiction. La distanciation sociale est désormais une norme internalisée pour moi. Que pourrait-il arriver si je tombais sous le joug d’une dictature ? Froid dans le dos…

Tout cela ne m’a pas empêchée de prévenir aussitôt mes enfants puis quelques amis que j’avais informés parce que nous avions été en contact au moment où je m’inquiétais le plus. Non sans joie. Une seule chose est sure dans toute cette incertitude : je n’arriverai pas chez ma fille avec les croissants lundi matin. J’irai au mieux serrer mes petits-fils dans mes bras l’après-midi, à la condition que mon généraliste y adhère pleinement. Au pire, j’attendrai d’avoir en ma possession les résultats d’un second test pour décider de la marche à suivre. Pile, je reste confinée deux semaines supplémentaires. Face, je suis libre.

Je parviens à me concentrer sur l’affaire du jour. J’ai envoyé le manuscrit sur la souffrance au travail à mes co-autrices au petit matin et je reçois progressivement leurs réactions : Anne-Marie est la première, suivie d’Aude, de Soazic, de Laurence et de Lucie. Toutes se déclarent très fières de notre réussite collective, certaines saluent les effets de mon encadrement sur la production du groupe, le travail de relecture et de corrections. L’effort de présentation. Je suis touchée. Seule Valérie reste silencieuse, mais je sais qu’elle doit souvent partager l’ordinateur familial avec mari et enfants, or nous sommes dimanche, ce qui veut dire que tout le monde est à la maison.

Je prépare ce qui, je l’espère, sera le dernier apéro Zoom du confinement, en tout cas pour moi…

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe

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