Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 43

Vendredi 24 avril

Toute la matinée est dédiée à mon troisième album photo du confinement, partie 3 : annonce du déconfinement progressif pour le 11 mai. Il débute par les hésitations voire les cafouillages de l’exécutif concernant les formes qu’il pourrait prendre. Nous avons d’abord entendu que les personnes âgées de plus de 70 ans seraient confinées jusqu’en décembre prochain. Que le déconfinement pourrait être différent suivant les régions. Qu’aucune hypothèse n’était avancée pour les bars et les restaurants. Aujourd’hui, rétropédalage : les « seniors », dont nous trouvons des trésors d’euphémisation pour les désigner (pourquoi ne dit-on pas les vieux alors qu’on dit les jeunes ?) seront libres de prendre les risques qu’ils souhaitent ; pas d’inégalité territoriale, ce qui briserait un des piliers de la République, mais des décisions locales concernant par exemple l’usage des plages (ça m’intéresse) ; quant au secteur de l’hôtellerie et du tourisme, les annonces seront faites le 31 mai.

L’album se poursuit par les figures de la crise, et notamment la « gourouïsation » du professeur Raoult : ce qu’il véhicule, peut-être malgré lui, ne m’est pas éminemment sympathique, mais s’il avait raison sur la caractéristique saisonnière du virus, j’apprécierais.

Le fatalisme fait l’objet de la troisième partie : poursuite des visioconférences avec pour miroir un écran nous renvoyant nos coiffures qui ne ressemblent à rien, tendance nette de la population à s’alcooliser outre mesure, renforcement des liens familiaux qui s’avéraient distendus par le rythme effréné de notre vie précédente.

Enfin, je termine par les projets à l’issue du confinement : reprise de l’école pour quelques semaines avant de basculer très vite vers l’été et les « grandes vacances » pour ceux qui en bénéficieront. Comment les enseignants vont-ils s’organiser ? Les parents feront-ils valoir leur droit à garder leurs enfants à la maison ? Le programme scolaire sera-t-il tenu malgré cette rupture d’égalité ?

Ma fille est sur les deux fronts à la fois : professeure en collège et maman d’un petit garçon scolarisé en CP. Elle se dit plutôt favorable au retour de son fils à l’école dès le 12 mai, après la prérentrée, mais craint sa propre reprise dans un établissement fréquenté par des enfants de milieu très modeste, au comportement parfois difficilement maitrisable. Craint également de devoir dans le même temps assurer des cours et poursuivre le télétravail pour les élèves qui ne pourront pas être présents (notamment si les classes sont accueillies en alternance) ou dont les parents préfèreront ne pas les envoyer à l’école.

Juste avant le déjeuner, Stéphane et moi prenons des mesures en vue de nos travaux, tendons une rallonge électrique sur le sol pour évaluer les dimensions de notre « extension », imaginer avec un peu de recul l’effet visuel que cela pourrait avoir, nous positionnant tour à tour devant la boite aux lettres de la maison, sur la terrasse, au fond du jardin… Nous débattons, il consulte des sites spécialisés, je télécharge un guide. Il appelle son jardinier : pourrait-il faire les travaux de terrassement ? Connait-il quelqu’un ? La réponse est oui aux deux questions.

Myriam m’appelle en début d’après-midi, s’excusant de m’avoir adressé tout récemment une nouvelle lettre audio dont le sujet pourrait me paraitre lointain. Je la rassure : si je ne parviens pas à trouver de lien avec la problématique centrale de son récit, je le lui ferai savoir et nous en débattrons la prochaine fois. Elle m’indique que le 13 mai, je serai son premier rendez-vous post-confinement. Qu’elle en est ravie.

Je suis également contactée par Dominique, un ami biographe. Nous échangeons parfois autour de nos clients : Dominique, qui a commencé son activité bien avant moi me conseille sur les moyens de communication, il me sollicite plutôt sur l’éthique de notre profession du fait de ma longue expérience du travail social. Cette fois, il me demande si je connais un logiciel anti-plagiat pour une cliente dont il corrige le roman. Je sais que les professeurs d’université en utilisent, notamment pour les thèses, mais je ne les connais pas. Je tape l’adjectif sur Maitre Gogol et clique sur le premier site gratuit que me propose la page. J’y dépose les quelques lignes du Bûcher des innocents, découvertes quelques jours plus tôt à propos de l’affaire Grégory et j’attends le verdict : 100 % de plagiat ! Bien vu ! J’en informe mon confrère.

L’après-midi est consacré à la finalisation de mon dossier de demande au Fonds d’aides à l’économie du livre (FADEL) : Alice, de Normandie Livre et Lecture, m’a gentiment adressé ses conseils suite au brouillon que je lui avais envoyé. Je redresse le tir. J’actualise mon CV. Je ne peux pas faire tous les tirages dont j’ai besoin en raison de la fin toute récente de la cartouche d’encre couleur.

Pas grave ! Après le rituel de la promenade à l’heure du gouter, je fais les courses au supermarché voisin. Avec mon masque. Nous avons reçu les vingt exemplaires en tissu noir que nous avions commandés depuis le 4 avril soit presque vingt jours après. Stéphane a râlé en les essayant : les élastiques sont un peu courts et lui font des oreilles décollées !

La soirée est pathétique : je comate sur le canapé pendant la seconde moitié d’un film policier avec Jodie Foster, que j’adore (Jodie Foster, pas le film, un peu trop dans le genre Justicier dans la ville, bien que plus tourné vers la psychologie post-traumatique, ce qui me « parle » davantage). Je me rendors une nouvelle fois devant les infos de la nuit, monte l’escalier en titubant, ôte avec douleur mes lentilles desséchées et collées sur l’iris, regagne le lit en soufflant… Juste le temps d’échanger quelques mots et quelques gestes tendres avec Stéphane, et je sombre.

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe

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